Il pénétra dans la pièce et ferma derrière lui, sans bruit. Aussitôt, il abaissa le store. Il regarda sa montre. 15 h 10. Il se donna cinq minutes pour fouiller le bureau. Pas une de plus. Malgré la pluie et le jour qui baissait déjà, il voyait suffisamment pour mener ses recherches sans allumer.
En un regard, il photographia l’espace. Du mobilier standard de fonctionnaire. Aucun détail personnel sur les murs ou sur les meubles. Freire pensa à son propre bureau à l’hôpital, froid et anonyme. Il repéra plusieurs points de rangement. Des casiers de fer, à droite. Une armoire aux portes souples, en face. Et le bureau lui-même, avec ses tiroirs et ses dossiers empilés.
Il n’eut pas à chercher loin.
Les documents qui l’intéressaient étaient les premiers de la pile.
Il n’avait pas le temps de lire les transcriptions d’interrogatoire mais trouva des photos. Le corps dans la fosse. La chair famélique, blanche, tatouée. La tête de taureau, noire. La victime semblait jaillir d’un âge primitif, peuplé de créatures fantastiques, de mythes terrifiants. En même temps, le grain des images avait la crudité et la présence d’archives documentaires. Un fait divers, mais survenu aux origines du monde.
Il feuilleta encore. Des photos du corps à la morgue. Le visage de Philippe Duruy, alors qu’on lui avait ôté son masque atroce. Une gueule broyée, asymétrique. Une autre chemise. Des portraits anthropométriques. Un gamin aux yeux cernés de khôl, tenant une pancarte numérotée à la craie. Le zonard avait déjà eu des ennuis avec la police.
D’autres dossiers. Des liasses de procès-verbaux. Pas le temps de lire. Enfin, dans le dernier, le bilan de la scène d’infraction réalisé par les techniciens de l’Identité judiciaire. Parmi les feuillets, la fiche portant les empreintes digitales trouvées sur place.
Des pas dans le couloir. Freire se pétrifia. Ils s’éloignèrent. Il regarda sa montre et dut se concentrer pour voir l’heure. 15 h 16. Déjà six minutes qu’il s’agitait dans ce bureau, Anaïs Chatelet n’allait plus tarder. Il considéra encore les empreintes. Une nouvelle idée. Il fouilla dans les tiroirs. Trouva un stylo-plume. Il en extirpa la cartouche. Attrapa une feuille blanche dans l’imprimante et répandit l’encre à sa surface. Il y trempa ses cinq doigts puis en appuya l’extrémité en haut de la feuille.
Il compara ces marques avec celles de Victor Janusz. Pas besoin d’être un spécialiste pour noter les similitudes.
Une empreinte identique.
Deux empreintes identiques.
Trois empreintes identiques.
Il était Victor Janusz.
Le fait de constater, noir sur blanc, cette preuve irréfutable, provoqua un déclic en lui. Il révisa ses projets. Un coupable n’a qu’une seule issue : la fuite.
Il plia la feuille et la glissa dans sa poche. Il revissa la cartouche d’encre. Rangea le stylo-plume dans le tiroir. Abandonna le dossier en haut de la pile et se livra à une petite mise en scène.
Il entrouvrit la porte. Risqua un œil dans le couloir. Toujours personne. Il sortit de la manière la plus dégagée possible et se dirigea vers les escaliers.
— Hé, vous !
Mathias continua à marcher.
— Ho !
Freire stoppa, se forgea une expression détendue et se retourna. Il sentait la sueur tremper ses pectoraux. Le minet de tout à l’heure marchait vers lui.
— Vous attendez pas le capitaine Chatelet ?
Il tenta de déglutir, en vain, puis prononça d’une voix rauque :
— Je… Je n’ai plus le temps.
— Dommage. Elle vient d’appeler : elle arrive.
— Je ne peux plus attendre. Ce n’était pas si grave.
L’homme fronça les sourcils. Le sixième sens du flic. Malgré tous ses efforts, Freire suintait la peur.
— Restez ici. (Le ton avait changé.) Elle arrive.
Freire baissa les yeux. Ce qu’il vit le pétrifia. Le flic portait un dossier sous son bras. Sur la couverture : VICTOR JANUSZ. MARSEILLE.
Tout s’obscurcit autour de lui. Impossible de penser, de parler. Le flic désigna les sièges fixés au mur.
— Asseyez-vous, mon vieux. Vous avez pas l’air dans votre assiette.
— Le Coz, viens voir !
La voix provenait d’un des bureaux.
— Vous ne bougez pas d’ici, répéta le minet.
Puis il tourna les talons.
Il rejoignit un collègue qui se tenait à quelques mètres. Ils disparurent et claquèrent la porte. Freire était toujours debout. Le sang cognait derrière ses orbites. Ses jambes flageolaient. Il n’avait plus qu’une chose à faire : s’asseoir et attendre qu’on l’arrête.
Au lieu de ça, il remonta le couloir, en silence et en accéléré. La cage d’escalier, ouverte, surplombait le hall du rez-de-chaussée. Il plongea. Les marches se succédèrent sous ses pas.
Il toucha le sol du hall sans y croire. Il traversa la salle, percevant le brouhaha autour de lui, comme s’il s’agissait du bourdonnement de son propre sang. Devant lui, la porte de sortie lui paraissait palpiter.
Il n’était plus qu’à quelques mètres du seuil.
Il s’attendait toujours à une attaque sur ses arrières.
Elle survint