— On a retrouvé des traces d’héroïne dans ses veines ?
— On peut rien te cacher.
— Un junk ?
— Plutôt un alcoolo.
Il n’y avait plus aucun doute. Un troisième sur la liste de l’assassin de l’Olympe. Et une supposition qui gagnait encore un point. Le pouvoir de persuasion du tueur — il avait convaincu le géant de se faire un shoot fatal. Par association, elle se souvint que Philippe Duruy avait parlé d’un homme voilé, d’un lépreux. La gueule de travers du dessin revint cingler sa mémoire. Plutôt un ornement ethnique qu’un masque de tragédie grecque.
Elle ferma la chemise, sentant encore et toujours une cohérence confuse derrière tout ça sans pouvoir mettre le doigt dessus.
— Ça marche, dit-elle. Je te rappelle ce soir.
Solinas souleva sa masse et saisit son cartable :
— Tu verras le juge demain.
100
IL SE RÉVEILLA sur la couette orange. Il portait encore son pantalon de jogging et sa veste à capuche. Il se sentait bien. À l’abri. Protégé par cet atelier qu’il ne connaissait pas mais qui le connaissait bien. Il ouvrit les yeux et observa, au-dessus de sa tête, l’armature rivetée. Il songea à la tour Eiffel. Il songea à des bouquins de Zola dont il avait oublié les titres, où des hommes vivaient, dormaient et travaillaient dans des ateliers de ce genre. Pour quelques jours, il allait être un de ces hommes.
Il se redressa parmi des feuilles manuscrites éparses. Tout lui revint. Ses notes nocturnes. Internet toute la nuit : Sasha.com et les autres sites de rencontres. Les dernières connexions de Chaplain. Les noms — que des pseudos — et des croisements. Il n’avait rien obtenu. Il avait ensuite cherché dans le loft un agenda, un carnet d’adresses mais n’avait rien trouvé non plus. Il s’était endormi aux environs de 4 heures du matin.
Au fil de ses tchats, sa conviction s’était renforcée. Nono n’était pas un dragueur, un obsédé du sexe ou un solitaire en peine. Il menait une enquête. Toujours la malédiction du voyageur sans bagage. Pour une raison qu’il ne pouvait encore imaginer, son personnage s’était orienté sur le
Mais impossible de dire laquelle. Toute la nuit, il avait vu défiler des pseudos. Nora33, Tinette, Betty14, Catwoman, Sissi, Stef, Anna, Barbie, Aphrodite, Nico6, Finou, Kenny… Il avait relu les dialogues ineptes, les provocations sexuelles, les paroles douces, de l’amour dans tous ses états, du désir le plus brut aux espoirs les plus évanescents.
L’ensemble lui avait laissé un sentiment ambigu. Nono donnait l’impression d’une grande gueule qui ne passait jamais à l’acte. Systématiquement, après un premier rendez-vous, les interlocutrices le relançaient sans qu’il daigne répondre. Chaplain n’était même pas sûr qu’il se soit déplacé. Seule exception : Sasha.com, le site de speed-dating. Chaque soir, ou presque, Nono se rendait aux soirées Sasha. Des bars. Des restaurants. Des boîtes. Il pouvait suivre le périple du chasseur grâce aux messages qui donnaient l’adresse de rencontre aux « sélectionnés ». Le problème était qu’il ne possédait aucune trace de ce qui s’était passé dans la « real life ».
Restaient les appels sur son répondeur. Il pouvait rappeler ces femmes, les voir, les interroger. Peut-être découvrirait-il, à travers leurs témoignages, la nature de sa propre quête. Mais il ne tenait pas à renouer avec ces rencontres d’un soir.
Une seule femme l’intéressait, celle du 29 août.
Il devait repartir à zéro. Se rendre aux soirées Sasha.com. Suivre, encore une fois, le sillage de son ombre. Découvrir ce que son double avait cherché, et chercher à son tour…
Cette nuit, il avait laissé des messages sur le forum. Il consulta sa boîte aux lettres. Il était retenu pour la « date » du soir même, au Pitcairn, un bar situé dans le Marais. Il n’était pas certain que beaucoup de candidats sachent ce qu’était « Pitcairn » mais lui le savait : l’île du Pacifique où les révoltés du
Salle de bains. L’état de son nez s’améliorait. La tuméfaction se résorbait. Les blessures cicatrisaient. Mais il n’avait pas la tête idéale pour une soirée drague. Au moins, cette quête serait plus glamour que ses deux dernières virées au fond de lui-même. Après les clochards et les peintres fous, il allait s’immerger parmi les femmes célibataires.
Il tentait de plaisanter, de prendre les choses à la légère, mais ce qui lui revenait maintenant, c’était l’assassinat de Jean-Pierre Corto, les coups de feu rue de Montalembert, les chocs de l’évier contre son visage…