— Je n’en sais rien, avoua Anaïs. La veille, un homme amnésique a été retrouvé dans les mêmes parages. Trois jours plus tard, cet homme et sa compagne ont été abattus par deux snipers à Guéthary. Des tireurs qui pourraient être liés au groupe Mêtis.
— Vous avez des éléments ? des liens concrets ?
— Plus ou moins. Ils travaillent sans doute pour une société de sécurité appartenant au groupe.
— Quelle société ?
— Les questions, c’est moi.
— Vous ne me dites pas le principal. En quoi les deux affaires sont associées ? Je veux dire : le meurtre de Saint-Jean et ceux de Guéthary ?
— Je ne sais pas, admit-elle encore une fois.
Koskas se rencogna dans l’ombre.
— Vous ne savez pas grand-chose.
Anaïs préféra ne rien répondre. Koskas fit quelques pas. La fumée le coiffait d’une auréole de mystère.
— Je croyais que vous aviez identifié le tueur de Saint-Jean.
— Nous avons un suspect. Rien de plus.
— Un suspect en fuite.
— Nous n’allons pas tarder à l’attraper.
Le journaliste rit à nouveau. Anaïs coupa court à son ironie :
— Le groupe Mêtis a-t-il un lien, de près ou de loin, avec la mythologie grecque ?
— À part son nom, aucun. Mêtis, c’est du grec ancien. Ça signifie : « Sagesse ». (Il cracha une bouffée vers l’arc de lumière du réverbère.) Tout un programme.
Anaïs réfléchit. Tout ça ne tenait pas debout. Par expérience, elle savait qu’un meurtre possédait son propre champ lexical. Ses mots. Ses techniques. Ses motivations. Aucun lien entre un producteur pharmaceutique et un meurtrier en série. Entre un fournisseur d’antidépresseurs et un attentat à l’Hécate II.
— Vous faites fausse route, confirma Koskas. Mêtis est un groupe industriel reconnu. Les seuls problèmes qu’ils ont à gérer, ce sont les éternelles attaques que subit ce genre de sociétés. Sur leurs essais cliniques, les cobayes humains, ce genre de trucs. On les accuse aussi de pousser les masses à la consommation, de vouloir droguer tout le monde… Mais c’est tout. Jamais une compagnie de ce calibre ne serait impliquée dans des meurtres qui font la « une » des journaux.
— Et ses éventuels liens avec l’armée ?
— Justement. S’il y avait un problème à régler par la manière forte, les partenaires de Mêtis s’en chargeraient et vous ne seriez pas au courant.
Anaïs acquiesça. Cette dernière remarque lui rappela un détail. Elle songea à la déclaration de vol du Q7 datée du 12 février qui innocentait l’ACSP, propriétaire du véhicule et filiale du groupe.
— Les gens de Mêtis auraient-ils les moyens de falsifier un rapport de Gendarmerie ?
— Vous n’avez pas l’air de comprendre, souffla Koskas. Si les rumeurs sont vraies, Mêtis, c’est l’armée. Les gendarmes. Les flics. Tout ce qui porte un uniforme en France. Tout ce qui représente la loi et l’ordre. Le ver n’est pas dans le fruit. Le ver et le fruit se sont associés pour affronter de nouveaux ennemis. Les terroristes. Les espions. Les saboteurs. Tout ce qui peut agresser notre pays, d’une manière ou d’une autre.
Elle voulut encore poser une question mais l’espion-journaliste s’était évaporé dans la nuit. Il ne restait plus que le pont, le ciel et le silence. Elle savait ce qui lui restait à faire. Dormir d’abord, puis prendre le taureau par les cornes.
Affronter le Minotaure de sa mythologie personnelle.
75
IL S’ÉTAIT LEVÉ TÔT.
Il avait trouvé la cuisine du réfectoire et s’était préparé un café. Maintenant, il observait le paysage à travers la baie vitrée de la salle. Le jour se levait et il découvrait un décor qu’il n’avait qu’aperçu la veille, sous la pluie. Fini les galets, les palmiers, les oliviers… C’étaient maintenant des gorges abruptes, des falaises rouges, des forêt de sapins, des lacets suspendus au-dessus des abîmes.
Surtout, la vue s’ouvrait sur une vallée d’ombre, comme étranglée par les montagnes. Un décor étroit, rugueux, glacé, qui semblait prêt à broyer des carcasses d’avion dans ses mâchoires. Narcisse contemplait ces déserts avec plaisir. La vallée était comme un royaume de pierre qui se refermait sur lui — et le protégeait.
Café en main, il s’orienta vers une autre salle qu’il avait repérée. Il remonta le corridor. Il aimait aussi l’architecture de l’institut. Les murs porteurs étaient de béton brut. Les parois des couloirs en ciment peint. Pas l’ombre d’une fioriture ni d’un ornement inutile. Des lignes, des surfaces, et rien d’autre.
L’atelier informatique. Cinq ordinateurs s’alignaient sur un comptoir de bois clair. Cliquant sur le premier clavier, il s’assura que les machines étaient connectées à Internet. Il lança une recherche sur Google.
MATRIOCHKA.
Le mot mystérieux, à consonance russe, qu’il était censé avoir prononcé au chevet d’Icare. 182 000 résultats étaient proposés mais les images en haut de l’écran donnaient la principale réponse : les célèbres poupées russes de bois coloré, s’enchâssant les unes dans les autres. Matriochka signifiait simplement « poupée russe ».