Читаем Le passager полностью

Anaïs avait du mal à se concentrer. Crosnier avait démarré. Il l’attendait en faisant rugir le moteur.

— J’ai vu le dernier journaliste cette nuit, Patrick Koskas. Il a beaucoup plus fouiné que les autres.

— Sur quoi ?

— Sur Mêtis, nom de Dieu !

— Je suis vraiment pressée, fit-elle entre ses dents.

— Ce qu’il m’a raconté est hallucinant. Selon lui, Mêtis n’a jamais quitté ses accointances avec le monde militaire.

— On peut parler de ça plus tard, non ?

— Non. Selon Koskas, le groupe mènerait des recherches chimiques sur des molécules capables de briser les volontés les plus coriaces. Genre sérum de vérité.

— Si c’est pour me raconter ce genre de craques, on peut se rappeler plus tard…

— Anaïs, il y a autre chose.

Elle tressaillit. Le Coz ne l’appelait jamais Anaïs. Plutôt un signal d’alarme qu’une marque d’affection.

— Koskas a réussi à se procurer la liste des actionnaires de la société anonyme.

Crosnier manœuvrait en faisant hurler les pneus. Anaïs s’approcha au pas de course.

— On se parle de tout ça plus tard, Le Coz. On…

— Sur cette liste, il y avait un nom que je connaissais.

Elle se pétrifia, la main sur la portière :

— Qui ?

— Ton père.

<p>69</p>

— JE PRÉFÈRE vous prévenir. Il n’a plus sa tête.

Jean-Michel attendait Janusz au pied de la Maison Arbour. Le bâtiment se détachait violemment parmi les autres immeubles de l’avenue de la République. Un bâtiment moderne aux couleurs solaires. Du jaune sombre. Du jaune clair. Du jaune pétillant. Pas vraiment ce qu’il attendait pour un lieu de fin de vie. Surtout, le Pénitent lui paraissait anormalement nerveux. Se doutait-il de quelque chose ? Avait-il lu les journaux ce matin — avec sa tête en première page ? Trop tard pour reculer.

Janusz suivit l’homme dans un hall dont l’un des murs portait une large plaque blanche, frappée d’une croix rouge, indiquant : PRIER AGIR AIMER. Sans un mot, ils prirent l’escalier. Janusz avait emporté son cartable et son dossier. Il ne comptait pas retourner à l’hôtel. Montant à la suite du Pénitent, il l’observa. Il s’attendait à un vieillard en aube blanche, capuche levée, ceinturé d’une corde. Jean-Michel était un athlète en pull et jean, d’une cinquantaine d’années, cheveux en brosse et lunettes d’écaille.

Ils prirent un couloir faiblement éclairé par une lucarne. Sous leurs pieds, le linoléum gris brillait comme les eaux d’une rivière. Le silence était oppressant. Pas un panneau, pas une odeur n’indiquait la nature des lieux. On aurait pu tout aussi bien se trouver dans un bureau d’aide sociale ou un hôtel des impôts.

Jean-Michel stoppa devant une porte et se retourna, poings sur les hanches, à contre-jour. L’image avait quelque chose d’impérieux. Comme si le temps du Jugement dernier était venu pour Janusz.

— Compte tenu de son état, je vous laisse dix minutes.

Janusz s’inclina en silence. Il adoptait malgré lui des attitudes de recueillement. Jean-Michel frappa à la porte. Pas de réponse. Il manipula un trousseau de clés.

— Il doit être sur le balcon, fit-il en déverrouillant la porte. Il aime bien.

Ils pénétrèrent dans l’appartement. En réalité un studio inondé par le soleil matinal. Du parquet flottant. Des murs nus, revêtus de papier peint de couleur claire. Une kitchenette plaquée contre le mur de gauche, impeccable.

Tout était propre.

Tout étincelait.

Tout était froid comme la salle d’un laboratoire.

Jean-Michel tendit l’index vers la porte-fenêtre ouverte. Sur le balcon, un homme, de dos, était assis sur un transat. Le Pénitent ouvrit ses deux mains : dix minutes, pas une de plus. Il recula sur la pointe des pieds, abandonnant Janusz à quelques mètres de l’homme qu’il cherchait depuis deux jours.

Il s’avança, cartable à la main. Christian Buisson était orienté plein soleil, emmitouflé dans une couverture qui lui montait jusqu’au menton. Le balcon donnait sur l’avenue. Le champ de vision se limitait à l’immeuble d’en face. La bande-son aux bruits du trafic, assortis du tremblement des tramways qui passaient avec régularité.

— Salut, Fer-Blanc.

Le vieillard ne bougea pas. Janusz franchit le seuil de la fenêtre et lui fit face, s’appuyant sur la balustrade. Buisson daigna lever les yeux et ne manifesta aucune surprise. Il avait l’air aussi en forme qu’une momie empaillée.

Enfin, il demanda :

— T’es v’nu pour me tuer ?

Janusz attrapa un fauteuil plié sur le balcon, l’ouvrit puis s’installa auprès de lui, tournant toujours le dos au garde-fou.

— Pourquoi je voudrais te tuer ?

Le visage s’agita. Grimace ou sourire, impossible de préciser. L’homme avait la chair flasque, grise, exsangue. On voyait les muscles à travers la peau, tendons épuisés, mécanismes ravagés. Les yeux mornes étaient comme vissés au fond des orbites. Toute la gueule se hérissait de poils, à la manière d’un porc-épic trempé dans du mercure.

— Je suis venu te parler de la calanque de Sormiou.

— Bien sûr.

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