— Où ?
Je portai la main à mon cou – qui me faisait un mal abominable – et sentis un liquide tiède. Collings vint examiner la blessure.
— Ce n’est qu’une mauvaise égratignure, dit-il. Voulez-vous rentrer à la ville vous faire soigner ?
— Non. Que diable s’est-il passé ?
— La milice y est allée un peu fort. Je croyais vous avoir dit de m’en ramener quatre.
— Ils ont refusé de m’écouter.
— Je sais… ils sont comme ça.
— Mais pourquoi tout cela ? demandai-je. Il y a déjà pas mal de temps que je travaille avec ces hommes et ils ne nous ont encore jamais attaqués.
— Des tas de rancunes accumulées. Plus particulièrement, dans le cas présent, le problème était que trois de ces hommes ont des épouses dans la ville. Ils refusaient de repartir sans elles.
— Ce sont des hommes de la ville ? m’enquis-je, croyant avoir mal compris.
— Non… j’ai seulement dit que leurs femmes s’y trouvent. Ces hommes sont tous des indigènes, embauchés dans un village proche.
— C’est bien ce que je pensais. Mais que font leurs femmes dans la ville ?
— Nous les avons achetées.
8
Cette nuit-là, je dormis mal. Seul dans la cabane, je me déshabillai avec précaution pour examiner les dégâts. Tout un côté de ma poitrine n’était que bleus et meurtrissures profondes, douloureuses. La blessure de mon cou avait cessé de saigner, mais je la lavai à l’eau chaude et y appliquai un onguent que je trouvai dans la trousse de premiers secours de Malchuskin. Je découvris qu’au cours de la lutte je m’étais arraché un ongle. Ma mâchoire me faisait souffrir quand je la remuais.
Je songeai de nouveau à regagner la ville comme me l’avait conseillé Collings – elle n’était guère qu’à quelques centaines de mètres, après tout – mais finalement je décidai de rester. Je ne tenais nullement à attirer l’attention sur moi en me montrant dans les rues stérilisées et propres de la ville comme si je sortais d’une bagarre d’ivrognes. Ce n’était d’ailleurs pas tellement éloigné de la vérité. Je préférais encore lécher mes blessures dans la solitude.
Je cherchai le sommeil, mais ne réussis guère qu’à m’assoupir par courtes périodes d’une dizaine de minutes.
Je m’éveillai tôt le matin et me levai. Je ne voulais pas voir Malchuskin avant de m’être rendu un peu plus présentable. J’avais mal dans tout le corps et ne pouvais bouger qu’avec précaution.
Quand il arriva, Malchuskin était de mauvaise humeur.
— Je suis au courant, me dit-il d’emblée. Inutile de vous expliquer.
— Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé.
— Vous avez contribué à déclencher une bagarre.
— C’est la milice… fis-je, sans conviction.
— Oui, mais vous devriez maintenant savoir qu’il faut tenir la milice à l’écart des tooks. Ils ont perdu plusieurs hommes, il y a quelques kilomètres et ils ont des comptes à régler. Au moindre prétexte, ces crétins se mettent à jouer de la matraque.
— Collings était en mauvaise posture, dis-je. Il fallait bien faire quelque chose rapidement.
— D’accord, ce n’est pas entièrement de votre faute. Collings prétend à présent qu’il aurait pu s’en tirer tout seul si vous n’aviez pas appelé la milice… mais il avoue également vous avoir demandé d’aller la chercher.
— C’est exact.
— Très bien. Mais une autre fois, réfléchissez.
— Qu’allons-nous faire maintenant ? demandai-je. Nous n’avons plus de manœuvres.
— Il va en venir d’autres aujourd’hui. Le travail n’ira pas vite au début, parce qu’il va falloir les former. En revanche, ils ne se plaindront pas tout de suite et ils travailleront donc mieux. C’est par la suite, quand ils ont eu le temps de réfléchir, que les ennuis commencent.
— Mais pourquoi nous en veulent-ils ? Nous les payons, pourtant ?
— Oui, mais c’est nous qui fixons le prix. La région est pauvre. Le sol est mauvais et il n’y a guère de nourriture. Nous passons là, dans notre ville, nous leur offrons ce dont ils ont besoin… et ils acceptent. Mais à long terme, ils n’en tirent aucun avantage, et il faut bien dire que nous leur prenons plus que nous ne leur donnons.
— Nous devrions leur proposer davantage.
— Peut-être. (Malchuskin prit l’air indifférent.) Cela ne nous regarde en rien. Nous ne nous occupons que de la voie. Il nous fallut attendre plusieurs heures avant que les nouveaux ouvriers arrivent. Pendant ce temps, Malchuskin et moi allâmes dans les dortoirs désertés faire un peu de nettoyage. La milice avait expédié rapidement les précédents occupants pendant la nuit, en leur laissant tout de même le temps de prendre leurs effets. Les ouvriers avaient cependant abandonné beaucoup de choses, surtout de vieux vêtements et des bribes de nourriture. Malchuskin m’avertit d’ouvrir l’œil au cas où ils auraient laissé quelque message pour les nouveaux employés, mais nous ne trouvâmes rien.
Plus tard, on ressortit pour brûler tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux.