Morrel écouta les derniers bruits de sa robe frôlant les charmilles, de ses pieds faisant crier le sable, leva les yeux au ciel avec un ineffable sourire pour remercier le ciel de ce qu’il permettait qu’il fût aimé ainsi, et disparut à son tour.
Le jeune homme rentra chez lui et attendit pendant tout le reste de la soirée et pendant toute la journée du lendemain sans rien recevoir. Enfin, ce ne fut que le surlendemain, vers dix heures du matin, comme il allait s’acheminer vers M. Deschamps, notaire, qu’il reçut par la poste un petit billet qu’il reconnut pour être de Valentine, quoiqu’il n’eût jamais vu son écriture.
Il était conçu en ces termes:
«Larmes, supplications, prières, n’ont rien fait. Hier, pendant deux heures, j’ai été à l’église Saint-Philippe-du-Roule, et pendant deux heures j’ai prié Dieu du fond de l’âme; Dieu est insensible comme les hommes, et la signature du contrat est fixée à ce soir, neuf heures.
«Je n’ai qu’une parole comme je n’ai qu’un cœur, Morrel, et cette parole vous est engagée: ce cœur est à vous!
«Ce soir donc, à neuf heures moins un quart, à la grille.
P.-S. – «Ma pauvre grand-mère va de plus mal en plus mal; hier, son exaltation est devenue du délire: aujourd’hui son délire est presque de la folie.
«Vous m’aimerez bien, n’est-ce pas, Morrel, pour me faire oublier que je l’aurai quittée en cet état?
«Je crois que l’on cache à grand-papa Noirtier que la signature du contrat doit avoir lieu ce soir.»
Morrel ne se borna pas aux renseignements que lui donnait Valentine; il alla chez le notaire, qui lui confirma la nouvelle que la signature du contrat était pour neuf heures du soir.
Puis il passa chez Monte-Cristo; ce fut encore là qu’il en sut le plus: Franz était venu lui annoncer cette solennité; de son côté, Mme de Villefort avait écrit au comte pour le prier de l’excuser si elle ne l’invitait point; mais la mort de M. de Saint-Méran et l’état où se trouvait sa veuve jetaient sur cette réunion un voile de tristesse dont elle ne voulait pas assombrir le front du comte, auquel elle souhaitait toute sorte de bonheur.
La veille, Franz avait été présenté à Mme de Saint-Méran, qui avait quitté le lit pour cette présentation, et qui s’y était remise aussitôt.
Morrel, la chose est facile à comprendre, était dans un état d’agitation qui ne pouvait échapper à un œil aussi perçant que l’était l’œil du comte, aussi Monte-Cristo fut-il pour lui plus affectueux que jamais; si affectueux, que deux ou trois fois Maximilien fut sur le point de lui tout dire. Mais il se rappela la promesse formelle donnée à Valentine, et son secret resta au fond de son cœur.
Le jeune homme relut vingt fois dans la journée la lettre de Valentine. C’était la première fois qu’elle lui écrivait, et à quelle occasion! À chaque fois qu’il relisait cette lettre, Maximilien se renouvelait à lui-même le serment de rendre Valentine heureuse. En effet, quelle autorité n’a pas la jeune fille qui prend une résolution si courageuse! quel dévouement ne mérite-t-elle pas de la part de celui à qui elle a tout sacrifié! Comme elle doit être réellement pour son amant le premier et le plus digne objet de son culte! C’est à la fois la reine et la femme, et l’on n’a point assez d’une âme pour la remercier et l’aimer.
Morrel songeait avec une agitation inexprimable à ce moment où Valentine arriverait en disant:
«Me voici, Maximilien; prenez-moi.»
Il avait organisé toute cette fuite; deux échelles avaient été cachées dans la luzerne du clos; un cabriolet, que devait conduire Maximilien lui-même, attendait; pas de domestique, pas de lumière; au détour de la première rue on allumerait des lanternes, car il ne fallait point, par un surcroît de précautions, tomber entre les mains de la police.
De temps en temps des frissonnements passaient par tout le corps de Morrel; il songeait au moment où, du faîte de ce mur, il protégerait la descente de Valentine, et où il sentirait tremblante et abandonnée dans ses bras, celle dont il n’avait jamais pressé que la main et baisé le bout du doigt.