Читаем Le Comte de Monte-Cristo. Tome IV полностью

«Oh! regardez-moi, continua-t-elle avec un sentiment de profonde mélancolie; on peut supporter l’éclat de mes yeux aujourd’hui, ce n’est plus le temps où je venais sourire à Edmond Dantès, qui m’attendait là-haut, à la fenêtre de cette mansarde qu’habitait son vieux père… Depuis ce temps, bien des jours douloureux se sont écoulés, qui ont creusé comme un abîme entre moi et ce temps. Vous accuser, Edmond, vous haïr, mon ami! non, c’est moi que j’accuse et que je hais! Oh! misérable que je suis! s’écria-t-elle en joignant les mains et en levant les yeux au ciel. Ai-je été punie!… J’avais la religion, l’innocence, l’amour, ces trois bonheurs qui font les anges, et, misérable que je suis, j’ai douté de Dieu!»

Monte-Cristo fit un pas vers elle et silencieusement lui tendit la main.

«Non, dit-elle en retirant doucement la sienne, non, mon ami, ne me touchez pas. Vous m’avez épargnée, et cependant de tous ceux que vous avez frappés, j’étais la plus coupable. Tous les autres ont agi par haine, par cupidité, par égoïsme; moi, j’ai agi par lâcheté. Eux désiraient, moi, j’ai eu peur. Non, ne me pressez pas ma main. Edmond, vous méditez quelque parole affectueuse, je le sens, ne la dites pas: gardez-la pour une autre, je n’en suis plus digne, moi. Voyez… (elle découvrit tout à fait son visage), voyez, le malheur a fait mes cheveux gris; mes yeux ont tant versé de larmes qu’ils sont cerclés de veines violettes; mon front se ride. Vous, au contraire, Edmond, vous êtes toujours jeune, toujours beau, toujours fier. C’est que vous avez eu la foi, vous; c’est que vous avez eu la force; c’est que vous vous êtes reposé en Dieu, et que Dieu vous a soutenu. Moi, j’ai été lâche, moi, j’ai renié; Dieu m’a abandonnée, et me voilà.»

Mercédès fondit en larmes, le cœur de la femme se brisait au choc des souvenirs.

Monte-Cristo prit sa main et la baisa respectueusement, mais elle sentit elle-même que ce baiser était sans ardeur, comme celui que le comte eût déposé sur la main de marbre de la statue d’une sainte.

«Il y a, continua-t-elle, des existences prédestinées dont une première faute brise tout l’avenir. Je vous croyais mort, j’eusse dû mourir; car à quoi a-t-il servi que j’aie porté éternellement votre deuil dans mon cœur? à faire d’une femme de trente-neuf ans une femme de cinquante, voilà tout. À quoi a-t-il servi que, seule entre tous, vous ayant reconnu, j’aie seulement sauvé mon fils? Ne devais-je pas aussi sauver l’homme, si coupable qu’il fût, que j’avais accepté pour époux? cependant je l’ai laissé mourir; que dis-je mon Dieu! j’ai contribué à sa mort par ma lâche insensibilité, par mon mépris, ne me rappelant pas, ne voulant pas me rappeler que c’était pour moi qu’il s’était fait parjure et traître! À quoi sert enfin que j’aie accompagné mon fils jusqu’ici, puisque ici je l’abandonne, puisque je le laisse partir seul, puisque je le livre à cette terre dévorante d’Afrique? Oh! j’ai été lâche, vous dis-je; j’ai renié mon amour, et, comme les renégats, je porte malheur à tout ce qui m’environne!

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