Читаем La vie devant soi полностью

Monsieur N'Da Amédée s'asseyait sur le lit où on dormait quand on n'était pas plus de trois ou quatre, on allait dormir avec Madame Rosa, quand il y avait plus. Ou alors, il mettait un pied sur le lit et restait debout pour expliquer à Madame Rosa ce qu'elle devait dire par écrit à ses parents. Quand il parlait, Monsieur N'Da Amédée faisait des gestes et s'émouvait et finissait même par se fâcher sérieusement et par se mettre en colère, pas du tout parce qu'il était furieux mais parce qu'il voulait dire à ses parents beaucoup plus de choses qu'il ne pouvait s'offrir avec ses moyens de bas étage. Ça commençait toujours par cher et vénéré père et puis il se foutait en rogne car il était plein de choses merveilleuses qui n'avaient pas d'expression et qui restaient dans son cœur. Il n'avait pas les moyens, alors qu'il lui fallait de l'or et des diamants à chaque mot. Madame Rosa lui écrivait des lettres dans lesquelles il faisait des études d'autodidacte pour devenir entrepreneur de travaux publics, construire des barrages et être un bienfaiteur pour son pays. Quand elle lui Usait ça, il avait un immense plaisir. Madame Rosa lui faisait construire aussi des ponts et des routes et tout ce qu'il faut. Elle aimait quand Monsieur N'Da Amédée était heureux en écoutant toutes les choses qu'il faisait dans ses lettres et il mettait toujours de l'argent dans l'enveloppe pour que ce soit plus vrai. Il était enchanté, avec Son costume rosé des Champs-Elysées et peut-être même davantage et Madame Rosa disait après que quand il écoutait, il avait des yeux de vrai croyant et que les Noirs d'Afrique, car il y en a ailleurs, sont encore ce qu'il y a de mieux dans le genre. Les vrais croyants sont des personnes qui croient en Dieu, comme Monsieur Hamil, qui me parlait de Dieu tout le temps et il m'expliquait que ce sont des choses qu'il faut apprendre quand on est jeune et qu'on est capable d'apprendre n'importe quoi.

Monsieur N'Da Amédée avait un diamant dans sa cravate qui étincelait. Madame Rosa disait que c'était un vrai diamant et pas un faux comme on pourrait le croire, car on ne se méfie jamais assez. Le grand-père maternel de Madame Rosa était dans les diamants et elle en avait hérité des connaissances. Le diamant était au-dessous du visage de Monsieur N'Da Amédée, qui brillait aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Madame Rosa ne se souvenait jamais ce qu'elle avait mis la dernière fois dans la lettre à ses parents en Afrique, mais ça n'avait pas d'importance, elle disait que plus on a rien et plus on veut croire. D'ailleurs Monsieur N'Da Amédée ne cherchait pas la petite bête et ça lui était égal, à partir du moment que ses parents étaient heureux. Parfois, il oubliait même ses parents et il se disait tout ce qu'il était déjà et tout ce qu'il allait être encore davantage. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un qui pouvait parler ainsi de lui-même comme si c'était possible. Il hurlait que tout le monde le respectait et qu'il était le roi. Oui, il gueulait, «je suis le roi!» et Madame Rosa mettait ça par écrit, avec les ponts et les barrages et tout. Après, elle me disait que Monsieur N'Da Amédée était complètement michougué, ce qui veut dire fou en juif, mais que c'était un fou dangereux et qu'il fallait donc le laisser faire pour ne pas avoir d'ennuis. Il paraît qu'il avait déjà tué des hommes mais que c'étaient des Noirs entre eux et qui n'avaient pas d'identité, parce qu'ils ne sont pas français comme les Noirs américains et que la police ne s'occupe que de ceux qui ont une existence. Un jour, il allait se cogner aux Algériens ou aux Corses et elle allait être obligée d'écrire à ses parents une lettre qui ne fait plaisir à personne. Il ne faut pas croire que les proxynè-tes n'ont pas de problèmes comme tout le monde. Monsieur N'Da Amédée venait toujours avec deux gardes du corps car il était peu sûr et il fallait le protéger. Ces gardes du corps, on leur aurait vite donné le bon Dieu sans confession, tellement ils avaient des sales têtes et faisaient peur. Il y avait un qui était boxeur et qui avait pris tant de coups sur la gueule que tout avait perdu sa place et il avait un œil qui n'était pas à la hauteur, un nez écrasant et des sourcils arrachés par des interruptions du combat de l'arbitre à l'arcade sourcilière, et un autre œil qui n'était pas tellement chez lui non plus, comme si le coup qu'on avait donné à l'un avait fait sortir l'autre. Mais il avait du poing et ça ne s'arrêtait pas là, il avait aussi des bras qu'on ne rencontre pas ailleurs. Madame Rosa m'avait dit que quand on rêve beaucoup on grandit plus vite, et les poings de ce Monsieur Boro avaient dû rêver toute leur vie, tellement ils étaient énormes.

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