Les seins fermes, pareils à des coupes renversées, taillées par un orfèvre, étaient presque découverts. Une bande de velours violet passait entre eux, du fermoir à la ceinture. Des bandes analogues traversaient chaque sein en son milieu, tirées en arrière par une chaînette qui barrait le dos nu. La taille très mince était nouée d’une ceinture blanche, semée d’étoiles noires et munie d’une boucle de platine en forme de croissant. Derrière, la ceinture retenait une longue pièce de soie blanche, également ornée d’étoiles noires ; pas de bijoux, sauf les boucles scintillantes des petits souliers noirs.
— Ça va être mon tour ! dit-elle imperturbable, en se dirigeant vers l’arcade de l’entrée. Elle jeta un coup d’œil à Mven Mas et disparut, suivie d’un murmure intéressé et de milliers de regards.
Sur l’arène, il y avait maintenant une gymnaste, jeune fille admirablement faite, qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Eclairée d’une lumière d’or, elle exécuta au son de la musique une cascade d’envolées, de sauts et de pirouettes, s’im-mobilisant dans un équilibre inconcevable, aux passages lents de la mélodie. Le public approuva ces performances par une multitude de feux d’or, et Mven Mas se dit que Tchara Nandi aurait du mal à se distinguer après un tel succès. Un peu inquiet, il examina la foule en face de lui et reconnut soudain dans le troisième secteur, le peintre Kart San. Celui-ci le salua avec une gaieté qui lui parut déplacée : cet artiste qui avait peint d’après elle la Fille de la Méditerranée aurait dû s’inquiéter plus que les autres de l’effet du spectacle.
A peine l’Africain eut-il décidé d’aller voir après l’expérience la Fille de la Méditerranée, que les lumières d’en haut s’éteignirent. Le plancher en verre organique s’embrasa d’une lueur pourpre, telle de la fonte incandescente. Des feux rouges jaillirent de sous lia rampe. Ils se démenaient et essaimaient au rythme net de l’orchestre où le chant aigu des violons s’accompagnait du son grave des cordes en cuivre. Légèrement étourdi par la pétulance et la vigueur de la musique, Mven Mas ne remarqua pas tout de suite, au centre du champ de flamme, l’apparition de Tchara qui s’était mise en mouvement à une cadence qui stupéfiait les spectateurs.
Il se demanda avec angoisse ce qui arriverait si le rythme s’accélérait encore. Elle ne dansait pas seulement des pieds et des mains, tout son corps répondait à l’ardente musique par un souffle de vie non moins brûlant. L’Africain pensa que si les femmes de l’Inde antique étaient comme Tchara, le poète avait raison de les comparer aux coupes de feu et de donner ce nom à la fête féminine.
Les reflets de la scène et du plancher prêtaient au haie bronzé de la danseuse des tons de cuivre éclatants. Le cœur de Mven Mas battit la chamade : il avait vu cette couleur de peau chez les habitants de la merveilleuse planète de l’Epsilon du Toucan. C’est alors qu’il avait appris l’existence de corps spiritualisés capables de rendre par les gestes les plus fines nuances du sentiment, de l’imagination, de la passion, de îa soif du bonheur ...
Lui qui s’en était allé dans le lointain, au-delà de quatre-vingt-dix parsecs, venait de comprendre que la richesse inépuisable des beautés terrestres pouvait offrir des fleurs aussi splendides que la vision chérie de la planète étrangère. Mais sa chimère l’avait tenu trop longtemps pour s’évanouir d’un seul coup. En prenant l’aspect de la Peau-Rouge de l’Epsilon du Toucan, Tchara ne faisait que confirmer Mven Mas dans ses intentions. S’il émanait tant de joie de la seule Tchara Nandi, que devait être le monde où la plupart des femmes lui ressemblaient ? !
Evda Nal et Véda Kong, excellentes danseuses elles-mêmes et qui voyaient pour la première fois l’art de Tchara, en étaient émerveillées. Véda, en qui parlait Fanthropologiste et l’historien des races anciennes, conclut que les femmes de Gondvana — des pays chauds — avaient toujours été plus nombreuses que les hommes, décimés par les combats contre les bêtes féroces. Plus tard, lorsque les pays méridionaux très peuplés eurent engendré les Etats despotiques de l’Antiquité, les hommes continuèrent à périr, victimes des guerres, du fanatisme religieux et des caprices des tyrans. Les filles du Sud passaient par une sélection implacable qui aiguisait leur faculté d’adaptation. Dans le Nord, où la population était clairsemée et la nature assez pauvre, il y avait moins de despotisme politique des Siècles Sombres. Les hommes s’y conservaient donc en plus grand nombre, et les femmes étaient plus respectées.