Mven Mas retourna dans la salle des transmissions, appela l’Institut de Métagalaxie qui travaillait la nuit, et demanda de lui envoyer le lendemain les films stéréoscopiques de plusieurs galaxies. Puis il monta sur le toit, où se trouvait son appareil des bonds à grande distance. Il aimait ce sport impopulaire et le pratiquait avec succès. Ayant attaché à son corps le ballon d’hélium, l’Africain s’envola d’une détente, en embrayant une seconde l’hélice alimentée par un accumulateur léger. Il décrivit dans l’air une courbe d’environ six cents mètres, atterrit sur la Maison de l’Alimentation, et recommença. En cinq bonds, il atteignit un petit jardin sous une falaise calcaire, ôta son appareil au sommet d’un pylône en aluminium et se laissa glisser à terre par une perche, vers son lit dur, placé au pied d’un énorme platane. Il s’endormit au murmure du feuillage. La fête des Coupes de Feu tenait son nom d’un poème de Zan Sen, célèbre poète historien, qui avait décrit un rite de l’Inde antique, selon lequel on choisissait les plus belles femmes pour offrir aux héros partant en guerre des épées et des coupes où brûlaient des aromates. Ces attributs n’étaient plus en usage depuis longtemps, mais demeuraient le symbole de l’héroïsme. Or, les exploits se multipliaient parmi la population courageuse et énergique de la planète. La grande capacité de travail, qu’on ne connaissait autrefois qu’aux individus particulièrement endurants, appelés génies, dépendait entièrement de la vigueur physique, de l’abondance d’hormones stimula-trices. Le souci de la santé, au cours des millénaires, avait assimilé l’homme ordinaire aux héros de l’Antiquité, avides de hauts faits, d’amour et de connaissance.
La fête des Coupes de Feu était la fête printanière des femmes. Chaque année, au quatrième mois après le solstice d’hiver, en avril d’après les noitions anciennes, les plus jolies femmes de la Terre montraient au public leurs talents de danseuses, de chanteuses et de gymnastes. Les fines nuances de beauté des différentes races, qui se manifestaient dans la population métissée de la planète, brillaient ici dans leur inépuisable diversité, comme les facettes des pierres précieuses, à la joie des spectateurs, depuis les savants et les ingénieurs fatigués par un travail assidu, jusqu’aux artistes inspirés et aux tout jeunes élèves du troisième cycle.
Non moins magnifique était la fête automnale d’Hercule, fête masculine célébrée le neuvième mois. Les jeunes gens parvenus à la maturité y rendaient compte de leurs Travaux d’Hercule. Par la suite, on prit l’habitude de soumettre au public les actions et les œuvres remarquables de l’année. La fête, devenue commune aux hommes et aux femmes, se partagea en journées de la Belle Utilité, de l’Art Supérieur, de l’Audace Scientifique et de la Fantaisie ... Jadis Mven Mas avait été reconnu héros du premier et troisième jour ...
Mven Mas apparut dans l’immense Salle solaire du Stade Tyrrhénien, juste au moment où Véda Kong chantait sur l’arène. Il repéra le neuvième secteur du quatrième rayon où étaient assises Evda Nal et Tchara Nandi, et se mit à l’ombre d’une arcade, écoutant la voix grave de la jeune femme. Vêtue d’une robe blanche, levant haut sa tête aux cheveux cendrés, le visage tourné vers les dernières galeries, elle chantait un air joyeux et semblait à l’Africain l’incarnation du printemps.
Chaque spectateur appuyait sur l’un des quatre boutons disposés devant lui. Des feux dorés, bleus, verts ou rouges, qui s’allumaient au plafond, apprenaient à l’artiste ce qu’on pensait de lui et remplaçaient les applaudissements bruyants d’autrefois.
Véda fut récompensée d’un rayonnement multicolore de feux dorés et bleus, auxquels se mêlaient quelques lumières vertes et, tout émue, alla rejoindre ses compagnes. Alors Mven Mas s’avança, accueilli avec bienveillance.
Il chercha du regard son maître et prédécesseur, mais Dar Véter restait invisible.
— Qu’avez-vous fait de Dar Véter ? demanda-t-il d’un ton badin aux trois femmes.
— Et vous, qu’avez-vous fait de Ren Boz ? repartit Evda Nal, et l’Africain évita en hâte ses yeux pénétrants.
— Véter fouille le sol en Amérique du Sud, en quête de titane, expliqua Véda Kong, plus charitable, et son visage tressaillit. Tchara Nandi l’attira d’un geste protecteur et pressa sa joue contre la sienne. Ces deux visages, si différents, s’apparentaient par leur tendresse.
Tandis que les sourcils de Tchara, droits et bas sous le front dégagé, rappelaient les ailes déployées d’un oiseau planeur et s’harmonisaient avec les yeux en amande, ceux de Véda se relevaient vers les tempes ...
— Un oiseau qui s’envole .... songea l’Africain.
Les cheveux noirs et lustrés de Tchara lui retombaient sur la nuque et les épaules, mettant en valeur la coiffure sobre de la blonde Véda.
Tchara consulta l’horloge encastrée dans la coupole de \a salle et se leva.
Son costume frappa Mven Mas. Une chaîne en platine reposait sur ses épaules, un fermoir en tourmaline rouge chatoyait à son cou.