La symphonie était terminée. Dar Véter comprenait enfin ce qui lui avait manqué durant ces longs mois. Il lui fallait travailler plus près du Cosmos, de la spirale ininterrompue du progrès humain. Au sortir de la salle de concerts, il alla droit au bureau vidéophonique et appela la station centrale de placement de la zone Nord. Le jeune informateur qui avait dirigé Dar Véter sur la mine, le reconnut et parut heureux de le revoir.
— Le Conseil d’Astronautique vous a appelé ce matin, mais je n’ai pas pu établir le contact. Je vais vous mettre en communication.
L’écran s’obscurcit et se ralluma, présentant l’image de Mir Om, premier secrétaire du Conseil. Il semblait grave, triste même.
— Un grand malheur ! Le satellite 57 a péri. Le Conseil vous confie une tâche très difficile. Je vous envoie un plané-tonef ionique. Soyez prêt !
Dar Véter resta sidéré devant l’écran éteint.
Le vent soufflait sur le grand balcon de l’Observatoire. II apportait à travers la mer le parfum des fleurs tropicales, qui éveillait des désirs inquiets. Mven Mas n’arrivait pas à se recueillir comme il le fallait à la veille d’une grande épreuve. Ren Boz avait annoncé du Tibet que le remaniement de l’installation de Kor Ioule était terminé. Les quatre observateurs du satellite 57 voulaient bien risquer leur vie pour participer à une expérience telle qu’on n’en avait plus fait sur la Terre depuis longtemps.
Mais on agissait sans l’autorisation du Conseil et sans avoir débattu en public toutes les possibilités. Cela ressemblait à la fabrication secrète d’armes des époques sombres de l’histoire et donnait à l’affaire un arrière-goût de dissimulation peureuse, si impropre aux hommes modernes.
Le noble but qu’ils se posaient semblait justifier toutes ces mesures, mais ... il aurait mieux valu avoir la conscience nette ! L’ancien conflit de la fin et des moyens renaissait. L’expérience d’innombrables générations enseigne qu’il y a des moyens dont on ne doit pas abuser.
L’histoire de Bet Lon tracassait Mven Mas. Il y avait trente-deux ans, Bet Lon, célèbre mathématicien de la Terre, soutenait que certains symptômes de déviement dans l’action réciproque des champs magnétiques s’expliquaient par l’existence de dimensions parallèles. Il fit une série d’expériences curieuses sur la disparition d’objets. L’Académie des Limites du Savoir releva une erreur dans ses formules et donna aux phénomènes en question une explication absolument différente. Bet Lon avait un esprit puissant, hypertrophié aux dépens de la morale et de l’inhibition. Energique et égoïste, il s’obstina à expérimenter dans le même domaine. Pour obtenir des preuves décisives, il engagea de jeunes volontaires courageux, dévoués à la science. Ces hommes disparaissaient comme les objets, sans laisser de traces, et aucun ne donna de ses nouvelles de l’« au-delà », d’une autre dimension, ainsi que l’avait supposé le mathématicien sans cœur. Après avoir envoyé dans le « néant », c’est-à-dire exterminé douze personnes, il fut traduit en justice. Il sut démontrer sa conviction que les disparus continuaient à vivre dans une autre dimension et affirma n’avoir agi que du consentement des victimes. Condamné à l’exil, Bet Lon passa dix ans sur Mercure, puis émigra dans l’île de l’Oubli, gardant rancune à notre monde.
L’histoire, selon Mven Mas, ressemblait à la sienne. Là aussi, il y avait une expérience secrète, prohibée, dont les principes étaient réfutés par la science, et cette similitude déplaisait fort au directeur des stations externes.
La prochaine transmission par l’Anneau aurat lieu après-demain, ensuite il serait libre huit jours, pour tenter l’expérience !
Mven Mas leva la tête vers le" ciel. Les étoiles lui parurent plus brillantes et plus familières que jamais. Il en connaissait un grand nombre par leurs anciens noms, comme de vieux amis ... N’avaient-elles pas été de tout temps les amies de l’homme, ses guides et ses inspiratrices ?