– Madame, répondit Balsamo, vous avez payé amplement le faible service que j’ai pu vous rendre; mais avec moi rien n’est perdu; je sais être reconnaissant, vous vous en apercevrez. Ne croyez pas cependant que je sois un coupable, un conspirateur, comme dit M. de Sartine. Ce cher magistrat avait reçu des mains de quelqu’un qui me trahit ce coffret plein de mes petits secrets chimiques, secrets, madame la comtesse, que je veux vous faire partager, pour que vous conserviez cette immortelle, cette splendide beauté, cette éblouissante jeunesse. Or, voyant les chiffres de mes formules, le cher M. de Sartine a appelé à son aide la chancellerie, laquelle, pour ne pas se laisser prendre en défaut, a interprété mes chiffres à sa manière. Je crois vous l’avoir dit une fois, madame, le métier n’est pas encore affranchi de tous les périls qui l’entouraient au Moyen Âge; il n’y a que les esprits intelligents et jeunes comme le vôtre qui lui soient favorables. Bref, madame, vous m’avez sauvé d’un embarras; je vous en témoigne et vous en prouverai ma reconnaissance.
– Mais que vous eût-il donc fait si je ne fusse pas venue à votre secours?
– Il m’eût, pour faire pièce au roi Frédéric, que Sa Majesté déteste, renfermé à Vincennes ou à la Bastille. J ’en serais sorti, je le sais bien, grâce à mon procédé pour fondre la pierre sous le souffle; mais j’eusse perdu à cela mon coffret, qui renferme, j’ai eu l’honneur de vous le dire, beaucoup de curieuses et d’impayables formules, arrachées par un heureux hasard de la science aux éternelles ténèbres.
– Ah! comte, vous me rassurez et me charmez tout à la fois. Vous me promettez donc un philtre pour rajeunir?
– Oui.
– Et quand me le donnerez-vous?
– Oh! nous ne sommes pas pressés. Vous me le demanderez dans vingt ans, belle comtesse. Maintenant, je pense que vous n’avez pas envie de redevenir enfant.
– Vous êtes un homme charmant, en vérité; mais une dernière question et je vous laisse, car vous me semblez fort pressé.
– Parlez, comtesse.
– Vous m’avez dit que quelqu’un vous avait trahi: est-ce un homme ou une femme?
– C’est une femme.
– Ah! ah! comte: de l’amour!
– Hélas! oui, doublé d’une jalousie qui va jusqu’à la rage, et qui produit les beaux effets que vous avez vus; voilà une femme qui, n’osant me donner un coup de couteau, parce qu’elle sait qu’on ne me tue pas, a voulu me faire enterrer dans une prison ou me ruiner.
– Comment, vous ruiner?
– Elle le croyait du moins.
– Comte, je fais arrêter, dit la comtesse en riant. Est-ce donc au vif-argent qui court dans vos veines que vous devez cette immortalité qui fait qu’on vous dénonce au lieu de vous tuer? Faut-il que je vous descende ici ou que je vous reconduise chez vous?
– Non, madame; ce serait trop de bonté à vous que de vous déranger pour moi de votre chemin. J’ai là mon cheval Djérid.
– Ah! ce merveilleux animal qui dépasse, dit-on, le vent à la course?
– Je vois qu’il vous plaît, madame.
– C’est un magnifique coursier, en effet.
– Permettez-moi de vous l’offrir, à cette condition que vous le monterez seule.
– Oh! non, merci; je ne monte pas à cheval, ou du moins j’y monte fort timidement. Votre intention a donc pour moi tout le mérite du présent. Adieu, cher comte, n’oubliez pas, dans dix ans, mon philtre régénérateur.
– J’ai dit vingt ans.
– Comte, vous connaissez le proverbe: «J’aime mieux tenir…» Et même, si vous pouvez me le donner dans cinq ans… On ne sait pas ce qui peut arriver.
– Quand il vous plaira, comtesse. Ne savez-vous pas que je suis tout à vous?
– Un dernier mot, comte.
– J’écoute, madame.
– Il faut que je vous aie en bien grande confiance pour vous l’adresser.
Balsamo, qui avait déjà mis pied à terre, surmonta son impatience et se rapprocha de la comtesse.
– On dit partout, continua madame du Barry, que le roi a du goût pour cette petite Taverney.
– Ah! madame, dit Balsamo, est-ce possible?
– Un goût fort vif, à ce qu’on prétend. Il faut que vous me le disiez: si cela est vrai, comte, ne me ménagez pas; comte, traitez-moi en amie, je vous en conjure; comte, dites-moi la vérité.
– Madame, répliqua Balsamo, je ferai plus; je vous garantis, moi, que jamais mademoiselle Andrée ne sera la maîtresse du roi.
– Et pourquoi cela, comte? s’écria madame du Barry.
– Parce que je ne le veux pas, dit Balsamo.
– Oh! fit madame du Barry, incrédule.
– Vous doutez?
– N’est-ce point permis?
– Ne doutez jamais de la science, madame. Vous m’avez cru quand j’ai dit oui; quand je dis non, croyez-moi.
– Mais enfin vous avez donc des moyens…?
Elle s’arrêta en souriant.
– Achevez.
– Des moyens capables d’annihiler la volonté du roi ou de combattre ses caprices?
Balsamo sourit.
– Je crée des sympathies, dit-il.
– Oui, je sais cela.
– Vous y croyez même.
– J’y crois.
– Eh bien, je créerai de même des répugnances, et, au besoin, des impossibilités. Ainsi tranquillisez-vous, comtesse, je veille.