Un dernier regard jeté sur Andrée expliqua à Philippe la faillibilité du docteur; et Philippe se trouva si heureux de son explication, qu’il embrassa sa sœur comme ces martyrs qui confessaient la pureté de la Vierge Marie, en confessant du même coup leur croyance à son divin Fils.
Ce fut à cette période des fluctuations que Philippe entendit dans l’escalier les pas du docteur Louis, fidèle à la promesse qu’il lui avait faite.
Andrée tressaillit: tout lui devenait un événement dans la situation où elle était.
– Qui vient là? demanda-t-elle.
– Mais le docteur Louis, probablement, dit Philippe.
Au même instant, la porte s’ouvrit, et le médecin, attendu avec tant d’anxiété de la part de Philippe, parut en effet dans la chambre.
C’était, nous l’avons dit, un de ces hommes graves et honnêtes pour qui toute science est un sacerdoce et qui en étudient les mystères avec religion.
À cette époque toute matérialiste, le docteur Louis, chose rare, cherchait, sous les maladies du corps, à découvrir les maladies de l’âme; il allait franchement, brusquement, dans cette voie, s’inquiétant peu des rumeurs et des obstacles, économisant son temps, ce patrimoine des gens laborieux, avec une avarice qui le rendait brutal pour les oisifs et les bavards.
C’est pour cela qu’il avait si rudement traité Philippe à leur première entrevue: il l’avait pris pour un de ces muguets de cour qui viennent cajoler le médecin, afin d’obtenir des compliments sur leurs prouesses amoureuses, et qui sont tout fiers d’avoir une discrétion à payer. Mais, sitôt que la médaille s’était retournée, et qu’au lieu du fat plus ou moins amoureux, le docteur avait vu apparaître la sombre et menaçante figure du frère; sitôt qu’à la place d’un désagrément, il avait vu s’esquisser un malheur, le praticien philosophe, l’homme de cœur s’était ému et, depuis les dernières paroles de Philippe, le docteur s’était dit à lui-même:
– Non seulement j’ai pu me tromper, mais encore je voudrais m’être trompé.
Voilà pourquoi, même sans la prière instante de Philippe, il fût venu trouver Andrée, pour se rendre compte, par un examen plus décisif, de ce que la première épreuve lui avait fourni de probabilités.
Il entra donc, et son premier coup d’œil, cette prise de possession du médecin et de l’observateur, s’attacha dès l’antichambre sur Andrée, qu’il ne quitta plus.
Justement, soit émotion causée par la visite du docteur, soit accident naturel, Andrée venait d’être saisie d’une de ces attaques qui avaient effrayé Philippe, et elle chancelait, portant avec douleur son mouchoir à ses lèvres.
Philippe, tout occupé de recevoir le docteur, n’avait rien vu.
– Docteur, dit-il, soyez le bienvenu et pardonnez-moi ma façon un peu brusque; quand je vous ai abordé, il y a une heure, j’étais aussi agité que je suis calme en ce moment.
Le docteur cessa pour un instant de regarder Andrée et laissa tomber son observation sur le jeune homme, dont il analysa le sourire et l’épanouissement.
– Vous avez causé avec mademoiselle votre sœur, comme je vous en ai donné le conseil? demanda-t-il.
– Oui, docteur, oui.
– Et vous êtes rassuré?
– J’ai le ciel de plus et l’enfer de moins dans le cœur.
Le docteur prit la main d’Andrée et tâta longuement le pouls de la jeune fille.
Philippe la regardait et semblait dire:
«Oh! faites, docteur; je ne crains plus maintenant les commentaires du médecin.»
– Eh bien, monsieur? dit-il d’un air de triomphe.
– Monsieur le chevalier, répondit le docteur Louis, veuillez me laisser seul avec votre sœur.
Ces mots, prononcés simplement, abattirent l’orgueil du jeune homme.
– Quoi! encore? dit-il.
Le docteur fit un geste.
– C’est bien, je vous laisse, monsieur, répliqua Philippe d’un air sombre.
Puis, à sa sœur:
– Andrée, continua-t-il, soyez loyale et franche avec le docteur.
La jeune fille haussa les épaules, comme si elle ne pouvait même pas comprendre ce qu’on lui voulait dire.
Philippe reprit:
– Mais, tandis qu’il va vous questionner sur votre santé, j’irai faire un tour dans le parc. L’heure à laquelle j’ai demandé mon cheval n’est point encore venue, en sorte que je pourrai te revoir avant mon départ, et causer encore un instant avec toi.
Et il serra la main d’Andrée en essayant de sourire.
Mais il y avait pour la jeune fille quelque chose de contraint et de convulsif dans ce serrement et dans ce sourire.
Le docteur reconduisit gravement Philippe jusqu’à la porte d’entrée, qu’il ferma.
Après quoi, il revint s’asseoir sur le même sofa où Andrée était assise.
Chapitre CXLIV La consultation
Le plus profond silence régnait dehors.
Pas un souffle de vent ne passait dans l’air, pas une voix humaine ne retentissait; la nature était calme.
D’un autre côté, tout le service de Trianon était terminé; les gens des écuries et des remises avaient regagné leurs chambres; la petite cour était déserte.
Andrée sentait bien au fond de son cœur quelque émotion de l’espèce d’importance que Philippe et le médecin donnaient à cette maladie.