– Non sire, et surtout pour Votre Majesté, qui, pour moi et pour mon ami le baron de Taverney est, en ce moment, j’en demande pardon à la Divinité, le plus aimable amphitryon mortel qui se puisse voir; je n’ai donc pas de secrets pour mon roi. Je lui livre donc mon âme tout entière, car je ne voudrais pas qu’il fût dit que le roi de France n’a pas un serviteur qui lui dit toute la vérité.
– Voyons, fit le roi tandis que Taverney, assez inquiet, parce qu’il avait peur que Richelieu n’en dît trop, se pinçait les lèvres et composait scrupuleusement son visage sur celui du roi, la vérité, duc.
– Sire, il y a dans votre État deux puissances auxquelles un ministre devrait obéir: la première, c’est votre volonté; la seconde, c’est celle des amis les plus intimes que Votre Majesté daigne choisir. La première puissance est irrésistible, nul ne doit songer à s’y soustraire; la seconde est plus sacrée encore, car elle impose des devoirs de cœur à quiconque vous sert. Elle s’appelle votre confiance; un ministre doit aimer, pour lui obéir, le favori ou la favorite de son roi.
Louis XV se mit à rire.
– Duc, dit-il, voilà une fort belle maxime, et que j’aime à voir sortir de votre bouche; mais je vous défie de l’aller crier sur le Pont-Neuf avec deux trompettes.
– Oh! je sais bien, sire, dit Richelieu, que les philosophes en prendraient les armes; mais je ne crois pas que leurs cris soient de quelque chose à Votre Majesté et à moi. Le principal est que les deux volontés prépondérantes du royaume soient satisfaites. Eh bien, la volonté de certaine personne, sire, je le dirai courageusement à Votre Majesté, dût ma disgrâce, c’est-à-dire ma mort, en dépendre, la volonté de madame du Barry, enfin, je ne saurais y souscrire.
Louis XV se tut.
– Une idée m’était venue, poursuivit Richelieu; je regardais autour de moi, l’autre jour, à la cour de Votre Majesté, et, en vérité, je voyais tant de belles filles nobles, tant de femmes de qualité radieuses, que, si j’eusse été roi de France, le choix m’eût paru presque impossible à faire.
Louis XV se tourna vers Taverney, qui, se sentant mettre tout doucement en cause, palpitait de crainte et d’espoir, tout en aidant de ses yeux et de son souffle l’éloquence du maréchal, comme s’il eût poussé vers le port le navire chargé de sa fortune.
– Voyons, est-ce que c’est votre avis, baron? demanda le roi.
– Sire, répondit Taverney, le cœur tout gonflé, le duc me semble dire, depuis quelques instants, d’excellentes choses à Votre Majesté.
– Vous êtes donc de son avis en ce qu’il dit des belles filles?
– Mais, sire, il me semble qu’il y en a effectivement de fort belles à la cour de France.
– Enfin, vous êtes de son avis, baron?
– Oui, sire.
– Et vous m’exhorteriez comme lui à faire un choix parmi les beautés de la cour?
– J’oserais avouer que je suis de l’avis du maréchal, sire, si j’osais croire que c’est aussi l’avis de Votre Majesté.
Il y eut un moment de silence pendant lequel le roi regarda complaisamment Taverney.
– Messieurs, dit-il, nul doute que je ne suivisse vos avis, si j’avais trente ans. J’y aurais un penchant facile à comprendre; mais je me trouve un peu vieux à présent pour être crédule.
– Crédule! expliquez-moi le mot, je vous prie, sire.
– Être crédule, mon cher duc, signifie croire; or, rien ne me fera croire certaines choses.
– Lesquelles?
– C’est que l’on puisse inspirer de l’amour à mon âge.
– Ah! sire, s’écria Richelieu, j’avais pensé jusqu’à cette heure que Votre Majesté était le gentilhomme le plus poli de son royaume; mais je vois avec une profonde douleur que je m’étais trompé.
– En quoi donc? demanda le roi riant.
– En ce que je suis vieux comme Mathusalem, moi qui suis né en 94. Songez-y bien, sire, j’ai seize ans de plus que Votre Majesté.
C’était une adroite flatterie de la part du duc. Louis XV admirait toujours la vieillesse de cet homme qui avait tué tant de jeunesse à son service; car, ayant cet exemple sous les yeux, il pouvait espérer d’arriver au même âge que lui.
– Soit, dit Louis XV; mais j’espère que vous n’avez plus cette prétention d’être aimé pour vous, duc?
– Si je croyais cela, sire, je me brouillerais à l’instant même avec deux femmes qui m’ont dit le contraire encore ce matin.
– Eh bien, duc, dit Louis XV, nous verrons; nous verrons, monsieur de Taverney; la jeunesse rajeunit, c’est vrai…
– Oui, sire, et le sang noble est une salutaire infusion, sans compter qu’au changement un esprit riche comme celui de Votre Majesté gagne toujours et ne perd jamais.
– Cependant, fit observer Louis XV, je me rappelle que mon aïeul, lorsqu’il devint vieux, ne courtisa plus les femmes avec la même hardiesse.