– Ah! monsieur Boucher, lui dit-il, comme vous sentez la térébenthine!
Et il passa outre.
Le pauvre Boucher, si peu artiste que fût le roi, s’attendait à un autre compliment et faillit tomber de son échelle.
Il descendit et s’en alla les larmes aux yeux sans gratter sa palette et sans laver ses pinceaux, ce qu’il ne manquait pas cependant de faire chaque soir.
Sa Majesté tira sa montre. Il était sept heures.
Louis XV rentra au château, lutina le singe, fit parler la perruche, et tira des étagères, les unes après les autres, toutes les chinoiseries qu’elles contenaient.
La nuit vint.
Sa Majesté n’aimait pas les appartements obscurs; on alluma.
Mais elle n’aimait pas davantage la solitude.
– Mes chevaux dans un quart d’heure, dit le roi. Ma foi, ajouta-t-il, je lui donne encore un quart d’heure, pas une minute de plus.
Et Louis XV se coucha sur le sofa en face de la cheminée, se donnant pour tâche d’attendre que les quinze minutes, c’est-à-dire neuf cents secondes, fussent écoulées.
Au quatre centième battement du balancier de la pendule, laquelle représentait un éléphant bleu monté par une sultane rose, Sa Majesté dormait.
Comme on le pense, le laquais qui venait pour annoncer que la voiture était prête, le voyant dormir, se garda bien de l’éveiller. Il résulta de cette attention pour l’auguste sommeil, qu’en s’éveillant tout seul, le roi vit devant lui madame du Barry fort peu endormie, à ce qu’il paraissait du moins, et qui le regardait avec de grands yeux. Zamore, à l’angle de la porte, attendait le premier ordre.
– Ah! vous voilà, comtesse, dit le roi en restant assis, mais en reprenant la position verticale.
– Mais oui, sire, me voilà, et depuis fort longtemps même, dit la comtesse.
– Oh! c’est-à-dire depuis longtemps…
– Dame! depuis une heure au moins. Oh! comme Votre Majesté dort!
– Ma foi, écoutez donc, comtesse, vous n’étiez point là et je m’ennuyais fort; puis je dors si mal la nuit. Savez-vous que j’allais partir?
– Oui, j’ai vu les chevaux de Votre Majesté attelés.
Le roi regarda la pendule.
– Oh! mais, dix heures et demie! dit-il; j’ai dormi près de trois heures.
– Tout autant, sire; dites qu’on ne dort pas bien à Luciennes.
– Ma foi si! Mais que diable vois-je là? s’écria le roi en apercevant Zamore.
– Vous voyez le gouverneur de Luciennes, sire.
– Pas encore, pas encore, dit le roi en riant. Comment! ce drôle-là porte l’uniforme avant d’être nommé? Il compte donc bien sur ma parole!
– Sire, votre parole est sacrée, et nous avons tout le droit de compter dessus. Mais Zamore a plus que votre parole, ou plutôt moins que votre parole, sire, il a son brevet.
– Comment?
– Le vice-chancelier me l’a envoyé: le voici. Maintenant le serment est la seule formalité qui manque à son installation; faites-le jurer vite et qu’il nous garde.
– Approchez, monsieur le gouverneur, dit le roi.
Zamore s’approcha; il était vêtu d’un habit d’uniforme à collet brodé, portait les épaulettes de capitaine, la culotte courte, les bas de soie et l’épée en broche. Il marchait raide et compassé, un énorme chapeau à trois cornes sous le bras.
– Saura-t-il jurer seulement? dit le roi.
– Oh! que oui; essayez, sire.
– Avancez à l’ordre, dit le roi regardant curieusement cette noire poupée.
– À genoux, dit la comtesse.
– Prêtez serment, ajouta Louis XV.
L’enfant posa une main sur son cœur, l’autre dans les mains du roi, et dit:
– Je jure foi et hommage à mon maître et à ma maîtresse, je jure de défendre jusqu’à la mort le château dont on me confie la garde, et d’en manger jusqu’au dernier pot de confiture avant de me rendre si l’on m’attaquait.
Le roi se mit à rire, tant de la formule du serment que du sérieux avec lequel Zamore le prononçait.
– En retour de ce serment, répliqua-t-il en reprenant la gravité convenable, je vous confère, monsieur le gouverneur, le droit souverain, droit de haute et basse justice, sur tous ceux qui habitent l’air, la terre, le feu et l’eau de ce palais.
– Merci, maître, dit Zamore en se relevant.
– Et maintenant, dit le roi, va promener ton bel habit aux cuisines et laisse nous tranquilles. Va!
Zamore sortit.
Comme Zamore sortait par une porte, Chon entrait par l’autre.
– Ah! vous voilà, petite Chon. Bonjour, Chon!
Le roi l’attira sur ses genoux et l’embrassa.
– Voyons, ma petite Chon, continua-t-il, tu vas me dire la vérité, toi.
– Ah! prenez garde, sire, dit Chon, vous tombez mal. La vérité! je crois que ce serait la première fois de ma vie. Si vous voulez savoir la vérité, adressez-vous à Jeanne; elle ne sait pas mentir, elle.
– Est-ce vrai, comtesse?
– Sire, Chon a trop bonne opinion de moi. L’exemple m’a perdue, et, depuis ce soir surtout, je suis décidée à mentir comme une vraie comtesse, si la vérité n’est pas bonne à dire.
– Ah! dit le roi, il paraît que Chon a quelque chose à me cacher.
– Ma foi, non.
– Quelque petit duc, quelque petit marquis, quelque petit vicomte que l’on sera allé voir?
– Je ne crois pas, répliqua la comtesse.
– Qu’en dit Chon?
– Nous ne croyons pas, sire.
– Il faudra que je me fasse faire là-dessus un rapport de la police.