– Ma foi, je n’en sais rien encore, madame la comtesse; mais, si vous voulez me rendre le papier, je vous le dirai.
– C’est vrai, mon bon monsieur Flageot; lisez, lisez vite.
Celui-ci regarda la signature du billet.
– C’est de maître Guildou, notre procureur, dit-il.
– Ah! mon Dieu!
– Il m’invite, continua maître Flageot avec une stupéfaction croissante, à me tenir prêt à plaider pour mardi, parce que notre affaire est évoquée.
– Évoquée! cria la comtesse en bondissant, évoquée! Ah! prenez garde, monsieur Flageot, ne plaisantons pas cette fois, je ne m’en relèverais plus.
– Madame, dit maître Flageot, tout abasourdi de la nouvelle, si quelqu’un plaisante, ce ne peut être que M. Guildou, et ce serait la première fois de sa vie.
– Mais est-ce bien de lui cette lettre?
– Il a signé Guildou, voyez.
– C’est vrai!… Évoquée de ce matin, plaidée mardi. Ah çà! maître Flageot, cette dame qui m’est venue voir n’était donc pas une intrigante?
– Il paraît que non.
– Mais puisqu’elle ne m’était pas envoyée par vous… Vous êtes sûr qu’elle ne m’était pas envoyée par vous?
– Pardieu! si j’en suis sûr!
– Par qui donc m’était-elle envoyée?
– Oui, par qui?
– Car enfin elle m’était envoyée par quelqu’un.
– Je m’y perds.
– Et moi, je m’y noie. Ah! laissez-moi relire encore, mon cher monsieur Flageot; évoquée, plaidée, c’est écrit; plaidée devant M. le président Maupeou.
– Diable! cela y est-il?
– Sans doute.
– C’est fâcheux!
– Pourquoi cela?
– Parce que c’est un grand ami des Saluces que M. le président Maupeou.
– Vous le savez?
– Il n’en sort pas.
– Bon! nous voilà plus embarrassés que jamais. J’ai du malheur.
– Et cependant, dit maître Flageot, il n’y a pas à dire, il faut l’aller voir.
– Mais il me recevra horriblement.
– C’est probable.
– Ah! maître Flageot, que me dites-vous là?
– La vérité, madame.
– Quoi! non seulement vous perdez courage, mais encore vous m’ôtez celui que j’avais.
– Devant M. de Maupeou, il ne peut rien vous arriver de bon.
– Faible à ce point, vous, un Cicéron?
– Cicéron eut perdu la cause de Ligarius s’il eût plaidé devant Verrès au lieu de parler devant César, répondit maître Flageot, qui ne trouvait que cela de modeste à répondre pour repousser l’honneur insigne que sa cliente venait de lui faire.
– Alors vous me conseillez de ne pas l’aller voir?
– À Dieu ne plaise, madame, de vous conseiller une pareille irrégularité; seulement, je vous plains d’être forcée à une pareille entrevue.
– Vous me parlez là, monsieur Flageot, comme un soldat qui songe à déserter son poste. On dirait que vous craignez de vous charger de l’affaire.
– Madame, répondit l’avocat, j’en ai perdu quelques-unes dans ma vie qui avaient plus de chance de gain que celle-là.
La comtesse soupira; mais, rappelant toute son énergie:
– J’irai jusqu’au bout, dit-elle avec une sorte de dignité qui contrasta avec la physionomie comique de cet entretien, il ne sera pas dit qu’ayant le droit j’aurai reculé devant la brigue. Je perdrai mon procès, mais j’aurai montré aux prévaricateurs le front d’une femme de qualité comme il n’en reste pas beaucoup à la cour d’aujourd’hui. Me donnez-vous le bras, monsieur Flageot, pour m’accompagner chez votre vice-chancelier?
– Madame, dit maître Flageot appelant, lui aussi, à son aide toute sa dignité, madame, nous nous sommes juré, nous, membres opposants du parlement de Paris, de ne plus avoir de rapports en deçà des audiences, avec ceux qui ont abandonné les parlements dans l’affaire de M. d’Aiguillon. L’union fait la force; et comme M. de Maupeou a louvoyé dans toute cette affaire, comme nous avons à nous plaindre de lui, nous resterons dans nos camps jusqu’à ce qu’il ait arboré une couleur.
– Mon procès arrive mal, à ce que je vois, soupira la comtesse; des avocats brouillés avec leurs juges, des juges brouillés avec leurs clients… C’est égal, je persévérerai.
– Dieu vous assiste, madame, dit l’avocat en rejetant sa robe de chambre sur son bras gauche, comme un sénateur romain eût fait de sa toge.
– Voici un triste avocat, murmura en elle-même madame de Béarn. J’ai peur d’avoir moins de chance avec lui devant le parlement que je n’en avais là-bas devant mon traversin.
Puis tout haut, avec un sourire sous lequel elle essayait de dissimuler son inquiétude:
– Adieu, maître Flageot, continua-t-elle; étudiez bien la cause, je vous prie, on ne sait pas ce qui peut arriver.
– Oh! madame, dit maître Flageot, ce n’est point le plaidoyer qui m’embarrasse. Il sera beau, je le crois, d’autant plus beau que je me promets d’y mêler des allusions terribles.
– À quoi, monsieur, à quoi?
– À la corruption de Jérusalem, madame, que je comparerai aux villes maudites, et sur qui j’appellerai le feu du ciel. Vous comprenez, madame, que personne ne s’y trompera, et que Jérusalem sera Versailles.
– Monsieur Flageot, s’écria la vieille dame, ne vous compromettez pas, ou plutôt ne compromettez pas ma cause!