Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome I полностью

– Oui, causons. Vous dites que vous n’avez pas de fille, monsieur Flageot?

– Non, madame, et je le regrette bien sincèrement, puisque cela paraissait vous être agréable, quoique…

– Quoique? répéta la comtesse.

– Quoique, pour moi, j’aimerais mieux un garçon; les garçons réussissent mieux ou plutôt tournent moins mal dans ces temps-ci.

Madame de Béarn joignit les deux mains avec une profonde inquiétude.

– Quoi! dit-elle, vous ne m’avez pas fait mander à Paris par une sœur, une nièce, une cousine quelconque?

– Je n’y ai jamais songé, madame, sachant combien le séjour de Paris est dispendieux.

– Mais mon affaire?

– Je me réserve de vous tenir au courant quand elle sera appelée, madame.

– Comment, quand elle sera appelée?

– Oui.

– Elle ne l’est donc pas?

– Pas que je sache, madame.

– Mon procès n’est pas évoqué?

– Non.

– Et il n’est pas question d’un prochain appel?

– Non, madame! mon Dieu, non!

– Alors, s’écria la vieille dame en se levant, alors on m’a jouée, on s’est indignement moqué de moi.

M. Flageot hissa sa perruque sur le haut de son front en marmottant.

– J’en ai bien peur, madame.

– Maître Flageot!… s’écria la comtesse.

L’avocat bondit sur sa chaise et fit un signe à Marguerite, laquelle se tint prête à soutenir son maître.

– Maître Flageot, continua la comtesse, je ne tolérerai pas cette humiliation, et je m’adresserai à M. le lieutenant de police pour qu’on retrouve la péronnelle qui a commis cette insulte vis-à-vis de moi.

– Peuh! fit M. Flageot; c’est bien chanceux.

– Une fois trouvée, continua la comtesse emportée par la colère, j’intenterai une action.

– Encore un procès! dit tristement l’avocat.

Ces mots firent tomber la plaideuse du haut de sa fureur; la chute fut lourde.

– Hélas! dit-elle, j’arrivais si heureuse!

– Mais que vous a donc dit cette femme, madame?

– D’abord, qu’elle venait de votre part.

– Affreuse intrigante!

– Et de votre part elle m’annonçait l’évocation de mon affaire; c’était imminent; je ne pouvais faire assez grande diligence, ou je risquais d’arriver trop tard.

– Hélas! répéta M. Flageot à son tour, nous sommes loin d’être évoqués, madame.

– Nous sommes oubliés, n’est-ce pas?

– Oubliés, ensevelis, enterrés, madame, à moins d’un miracle, et, vous le savez, les miracles sont rares…

– Oh! oui, murmura la comtesse avec un soupir.

M. Flageot répondit par un autre soupir modulé sur celui de la comtesse.

– Tenez, monsieur Flageot, continua madame de Béarn, voulez-vous que je vous dise une chose?

– Dites, madame.

– Je n’y survivrai pas.

– Oh! quant à cela, vous auriez tort.

– Mon Dieu! mon Dieu! dit la pauvre comtesse, je suis au bout de ma force.

– Courage, madame, courage! dit Flageot.

– Mais n’avez-vous pas un conseil à me donner?

– Oh! si fait: celui de retourner dans vos terres et de ne plus croire désormais ceux qui se présenteront de ma part sans un mot de moi.

– Il faudra bien que j’y retourne, dans mes terres!

– Ce sera sage.

– Mais croyez-moi, monsieur Flageot, gémit la comtesse, nous ne nous reverrons plus, en ce monde du moins.

– Quelle scélératesse!

– Mais j’ai donc de bien cruels ennemis?

– C’est un tour des Saluces, j’en jurerais.

– Le tour est bien mesquin, en tout cas.

– Oui, c’est faible, dit M. Flageot.

– Oh! la justice, la justice! s’écria la comtesse, mon cher monsieur Flageot, c’est l’antre de Cacus.

– Pourquoi? dit celui-ci. Parce que la justice n’est plus elle-même, parce qu’on travaille le parlement, parce que M. de Maupeou a voulu devenir chancelier au lieu de rester président.

– Monsieur Flageot, je boirais bien à présent.

– Marguerite! cria l’avocat.

Marguerite rentra. Elle était sortie, voyant le tour pacifique que prenait la conversation.

Elle rentra, disons-nous, tenant le plateau et les deux verres qu’elle avait emportés. Madame de Béarn but lentement son verre de bière, après avoir honoré son avocat du choc de son gobelet, puis elle gagna l’antichambre après une triste révérence et des adieux plus tristes encore.

M. Flageot la suivait, sa perruque à la main.

Madame de Béarn était sur le palier et cherchait déjà la corde qui servait de rampe, lorsqu’une main se posa sur la sienne et qu’une tête donna dans sa poitrine.

Cette main et cette tête étaient celles d’un clerc qui escaladait quatre à quatre les raides marches de l’escalier.

La vieille comtesse, grondant et maugréant, rangea ses jupes et continua à descendre, tandis que le clerc, arrivé au palier à son tour, repoussait la porte en criant avec la voix franche et enjouée des basochiens de tous les temps:

– Voilà, maître Flageot, voilà; c’est pour l’affaire Béarn!

Et il lui tendit un papier.

Remonter à ce nom, repousser le clerc, se jeter sur maître Flageot, lui arracher le papier, bloquer l’avocat dans son cabinet, voilà ce que la vieille comtesse avait fait, avant que le clerc eût reçu deux soufflets que Marguerite lui appliquait ou faisait semblant de lui appliquer en riposte à deux baisers.

– Eh bien! s’écria la vieille dame, qu’est-ce qu’on dit donc là dedans, maître Flageot?

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