– C’est de la folie, murmura Ron en passant précautionneusement la main le long de l’encolure du cheval. Une vraie folie… Si seulement je pouvais le voir…
– Espère plutôt que tu ne le verras jamais, dit sombrement Harry. Bon, vous êtes prêts ?
Tous acquiescèrent d’un signe de tête et il vit leurs genoux se serrer contre leurs montures.
– O.K…
Il contempla la tête luisante de son cheval et déglutit difficilement.
– Alors… Ministère de la Magie, entrée des visiteurs, Londres, dit-il d’une voix mal assurée. Heu… Si tu sais… où c’est…
Pendant un instant, le Sombral ne bougea pas. Puis, dans un ample mouvement qui faillit désarçonner Harry, ses ailes se déployèrent de chaque côté. Le cheval s’accroupit lentement avant de s’élancer dans les airs, à une telle vitesse que Harry dut se cramponner de toutes ses forces, bras et jambes serrés, pour éviter de glisser en arrière sur le dos osseux de l’animal. Il ferma les yeux et enfouit son visage dans la crinière soyeuse tandis qu’ils émergeaient d’entre les arbres et s’élevaient dans la lueur rougeâtre du crépuscule.
Harry ne pensait pas s’être jamais déplacé à une telle vitesse. Le Sombral fila au-dessus du château, ses larges ailes battant à peine. L’air frais lui fouettait le visage. Les yeux plissés pour se protéger du vent, il regarda autour de lui et vit les cinq autres qui volaient derrière, chacun penché sur l’encolure de son cheval pour se protéger des remous d’air. Ils étaient sortis des limites de l’école et avaient dépassé Pré-au-Lard. Harry voyait défiler au-dessous d’eux des montagnes et des ravines. À mesure que la nuit tombait, de petites lumières s’allumaient dans les villages qu’ils survolaient. Sur une route sinueuse, une voiture solitaire rampait comme un insecte parmi les collines…
– C’est vraiment bizarre !
Harry avait vaguement entendu Ron faire cette remarque derrière lui et il imagina ce qu’on devait ressentir en filant à cette altitude sans aucun support visible.
Le soleil disparaissait : le ciel était d’un violet sombre, parsemé de minuscules étoiles d’argent, et bientôt, seules les lumières des villes moldues leur donnèrent une idée de leur altitude ou de leur vitesse. Harry serrait dans ses bras l’encolure de son cheval. Il aurait voulu qu’il aille encore plus vite. Combien de temps s’était-il passé depuis le moment où il avait vu Sirius étendu sur le sol, dans l’immense salle du Département des mystères ? Combien de temps Sirius pourrait-il encore résister à Voldemort ? Tout ce dont Harry était sûr, c’était que son parrain ne s’était pas soumis à la volonté de son bourreau et qu’il était toujours vivant, car il avait la conviction que, dans le cas contraire, il aurait ressenti soit la jubilation soit la fureur meurtrière de Voldemort dans son propre corps : sa cicatrice lui aurait fait aussi mal que la nuit où Mr Weasley avait été attaqué.
Ils continuèrent à voler ainsi dans l’obscurité qui s’épaississait. Harry avait le visage figé, frigorifié, ses jambes s’étaient ankylosées à force de serrer les flancs du Sombral mais il n’osait pas changer de position, de peur de glisser… L’air qui sifflait à ses oreilles le rendait sourd, sa bouche était sèche, glacée par le vent nocturne. Il avait perdu tout sens de la distance et devait se fier sans réserve à la bête qui le portait en filant résolument dans la nuit, ses ailes bougeant à peine.
S’ils arrivaient trop tard…
« Il est toujours vivant, il lutte, je le sens… »
Et si Voldemort se rendait compte que Sirius ne céderait jamais…
« Je le saurais… »
Harry sentit son estomac faire un bond. La tête du Sombral pointait soudain vers le sol et il glissa de quelques centimètres le long de l’encolure. Ils descendaient enfin… Harry crut entendre un cri aigu derrière lui et prit le risque de se retourner mais il ne vit aucun corps tomber dans le vide… Tout comme lui, les autres avaient sans doute subi le choc du changement de direction.
À présent, des lumières orangées grandissaient de toutes parts, rondes et brillantes. On distinguait les sommets des immeubles, les traînées des phares, semblables à des insectes lumineux, et les lueurs jaune pâle qui filtraient à travers les fenêtres. Brusquement, ils eurent l’impression de foncer droit vers le trottoir. Rassemblant toutes ses forces, Harry se cramponna au Sombral et se prépara à l’impact mais le cheval se posa avec la douceur d’une ombre et Harry se laissa glisser à terre. Il aperçut à nouveau la benne débordante d’ordures, près de la cabine téléphonique vandalisée, toutes deux décolorées par la clarté orange des réverbères.
Ron atterrit un peu plus loin et tomba à la renverse sur le trottoir.
– Plus jamais, dit-il en se relevant à grand-peine.
Il voulut s’éloigner du Sombral mais, incapable de le voir, il heurta sa croupe de plein fouet et faillit tomber à nouveau.
– Plus jamais, jamais… Pire que tout…