Tous trois se dirigèrent vers la Grande Salle mais à peine Harry avait-il eu le temps de jeter un coup d’œil aux nuages blancs qui filaient dans le ciel enchanté que quelqu’un lui tapota l’épaule. Il se retourna et se retrouva presque nez à nez avec Rusard, le concierge. Harry fit hâtivement plusieurs pas en arrière. Rusard gagnait à être vu avec une certaine distance.
– La directrice voudrait vous voir, Potter, dit-il avec un regard mauvais.
– Je n’y suis pour rien, répondit bêtement Harry en pensant à ce que George et Fred préparaient.
Rusard eut un rire silencieux qui fit trembloter ses bajoues.
– Mauvaise conscience, hein ? dit-il d’une voix sifflante. Suivez-moi.
Harry jeta un coup d’œil à Ron et à Hermione, tous deux inquiets. Il haussa les épaules et suivit Rusard qui se dirigea vers le hall d’entrée en remontant le courant des élèves affamés.
Rusard semblait de très bonne humeur. En gravissant les marches de l’escalier de marbre, il chantonna quelque chose de sa voix grinçante et lorsqu’ils arrivèrent au premier étage, il lança soudain :
– Les choses changent ici, Potter.
– J’ai remarqué, répliqua froidement Harry.
– Eh oui… Pendant des années et des années, j’ai répété à Dumbledore qu’il était trop faible avec vous, dit Rusard avec un ricanement féroce. Bande de répugnants petits gorets, vous n’auriez jamais fait éclater des boules puantes dans le château si vous aviez su qu’il était en mon pouvoir de vous fouetter jusqu’à l’os, n’est-ce pas ? Et personne n’aurait eu l’idée de lancer dans les couloirs des Frisbee à dents de serpent si j’avais eu la possibilité de vous pendre par les pieds dans mon bureau, pas vrai ? Mais quand le décret d’éducation numéro vingt-neuf entrera en vigueur, Potter, j’aurai le droit de faire tout cela… Et elle a demandé au ministre de signer l’ordre d’expulsion de Peeves… Oh oui, les choses seront bien différentes ici, avec
Ombrage avait dû aller assez loin pour mettre ainsi Rusard de son côté, songea Harry, et le pire, c’était qu’il constituerait pour elle une arme redoutable. Seuls les jumeaux Weasley pouvaient prétendre en savoir plus que lui sur les passages secrets et les cachettes de Poudlard.
– Nous y voilà, dit-il en jetant à Harry un regard mauvais.
Il frappa à trois reprises à la porte d’Ombrage et entra.
– Le jeune Potter est là, madame, annonça-t-il.
Le bureau, que Harry connaissait bien pour y avoir passé de nombreuses heures de retenue, n’avait pas changé. Le seul élément nouveau était la grosse plaque de bois qui s’étalait en travers de la table et sur laquelle était écrit en lettres d’or le mot : DIRECTRICE. Son Éclair de feu et les Brossdur de Fred et de George, qu’il vit avec un pincement au cœur, étaient à présent attachés par une chaîne cadenassée à un gros piton de fer planté dans le mur du fond.
Assise derrière son bureau, Ombrage écrivait d’un air affairé sur l’un de ses parchemins roses. En les voyant arriver, elle leva les yeux et sourit largement.
– Merci, Argus, dit-elle d’une voix douce.
– Mais je vous en prie, madame, c’était un plaisir, répondit Rusard qui s’inclina aussi profondément que ses rhumatismes le lui permettaient et sortit à reculons.
– Asseyez-vous, dit sèchement Ombrage.
Elle lui montra une chaise. Harry s’assit et elle continua à écrire pendant un certain temps. Il regarda les affreux chatons gambader dans leurs assiettes, au-dessus de la tête d’Ombrage, et se demanda quelles horreurs elle lui réservait cette fois-ci.
– Bien, à nous, maintenant, dit-elle enfin.
Elle posa sa plume et le regarda comme un crapaud s’apprêtant à avaler une mouche particulièrement juteuse.
– Qu’est-ce que vous voulez boire ?
– Pardon ? dit Harry qui était sûr d’avoir mal entendu.
– Ce que vous voulez boire, Mr Potter, dit-elle, le sourire encore plus large. Du thé ? Du café ? Du jus de citrouille ?
À chaque boisson qu’elle nommait, elle donnait un petit coup de baguette magique et une tasse ou un verre apparaissait aussitôt sur la table.
– Rien, merci, répondit Harry.
– Je souhaiterais que vous buviez quelque chose en ma compagnie, insista-t-elle avec une douceur qui devenait menaçante. Choisissez.
– Très bien… Du thé, alors, répondit Harry en haussant les épaules.
Elle se leva et ajouta du lait avec un soin tout particulier, le dos tourné vers lui. Puis, la tasse à la main, elle contourna le bureau. Un sourire d’une amabilité sinistre s’étalait sur son visage.
– Voilà, dit-elle en lui tendant le thé. Buvez-le avant qu’il ne refroidisse, voulez-vous ? Maintenant, Mr Potter… Je pense que nous devrions avoir une petite conversation après les pénibles événements de la nuit dernière.
Il ne répondit rien. Elle retourna s’installer dans son fauteuil et attendit. Après un long moment de silence, elle lança d’un air joyeux :
– Vous ne buvez pas !