– Ai-je dit cela ? répondit Phineas Nigellus en contemplant ses gants de soie d’un air nonchalant. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai autre chose à faire que prêter l’oreille aux tourments d’un adolescent… Je vous souhaite le bonjour.
Et il sortit du tableau.
– Très bien, allez-vous-en ! s’écria Harry en s’adressant au cadre vide. Et inutile de remercier Dumbledore, il n’y a aucune raison pour ça !
La toile resta silencieuse. Rageur, Harry ramena sa valise au pied de son lit puis se jeta à plat ventre sur les couvertures mangées aux mites, les yeux fermés, le corps lourd et douloureux.
Il avait l’impression d’avoir parcouru des kilomètres et des kilomètres… Il lui semblait impossible que, moins de vingt-quatre heures plus tôt, Cho Chang se soit approchée de lui, sous la branche de gui… Il était si fatigué… Il avait peur de dormir… Mais il ne savait pas combien de temps encore il pourrait lutter contre le sommeil… Dumbledore lui avait dit de rester… Cela devait signifier qu’il avait le droit de dormir… Mais la peur était là quand même… Si quelque chose de semblable se produisait à nouveau ?
Il s’enfonça peu à peu dans l’obscurité…
C’était comme si un film dans sa tête l’avait attendu pour commencer. Il marchait dans un couloir désert en direction d’une porte lisse et noire, entre des murs de pierre brute, éclairés par des torches. Sur la gauche, un passage ouvert donnait sur une volée de marches qui descendaient…
Il atteignait la porte mais ne parvenait pas à l’ouvrir… Il restait là à la contempler, avec une envie irrépressible d’entrer… Quelque chose qu’il désirait plus que tout au monde se trouvait derrière cette porte… Quelque chose qui dépassait tous ses rêves… Si seulement sa cicatrice cessait de le picoter… il pourrait réfléchir plus clairement…
– Harry, dit la voix très, très lointaine de Ron. Maman dit que le dîner est prêt mais qu’elle te gardera quelque chose si tu veux rester couché.
Harry ouvrit les yeux, mais Ron avait déjà quitté la pièce.
« Il ne veut pas rester seul avec moi, pensa-t-il. Pas après avoir entendu ce que Maugrey a dit… »
Il se doutait que plus personne ne voulait se trouver en sa présence, maintenant qu’ils savaient ce qu’il y avait en lui.
Il ne descendrait pas dîner, il ne leur infligerait pas sa compagnie. Il se tourna de l’autre côté et retomba bientôt dans le sommeil. Il se réveilla beaucoup plus tard, aux premières heures du jour, rongé par la faim. Ron ronflait dans le lit d’à côté. Plissant les yeux pour scruter la pénombre, Harry vit la silhouette sombre de Phineas Nigellus qui était revenu dans son portrait et il pensa que Dumbledore l’avait sans doute chargé de le surveiller au cas où il attaquerait quelqu’un d’autre.
L’impression de souillure s’intensifia. Il regrettait presque d’avoir obéi à Dumbledore… Si telle devait être sa vie désormais dans la maison du square Grimmaurd, peut-être qu’après tout, il serait mieux à Privet Drive.
Tout le monde, à part lui, passa la matinée à accrocher des décorations de Noël. Harry ne se souvenait pas d’avoir jamais vu Sirius d’aussi bonne humeur. Il allait même jusqu’à chanter des cantiques, apparemment ravi d’avoir de la compagnie pour les fêtes. Harry entendait sa voix filtrer à travers le parquet, dans le salon glacé où il était assis tout seul, regardant par la fenêtre le ciel de plus en plus blanc qui annonçait la neige. Harry éprouvait une sorte de plaisir sauvage à donner aux autres l’occasion de parler de lui, comme ils devaient sûrement le faire. Quand il entendit Mrs Weasley l’appeler doucement dans l’escalier à l’heure du déjeuner, il ne lui répondit pas et alla se réfugier plus haut dans les étages.
Vers six heures du soir, la sonnette de la porte d’entrée retentit et Mrs Black recommença à hurler. Se doutant que Mondingus ou quelque autre membre de l’Ordre était venu en visite, il se cala plus confortablement contre le mur, dans la pièce où Buck était enfermé et où lui-même avait décidé de se cacher. Il essayait d’ignorer sa propre faim tandis qu’il donnait à l’hippogriffe des rats morts à manger. Quelques minutes plus tard, il sursauta légèrement en entendant quelqu’un frapper à grands coups contre la porte.
– Je sais que tu es là, dit la voix d’Hermione. Tu veux bien sortir ? J’ai à te parler.
– Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Harry en ouvrant la porte.
Buck s’était remis à gratter la paille répandue sur le sol, à la recherche des morceaux de rat qui auraient pu lui échapper.
– Je croyais que tu étais partie faire du ski avec tes parents ?
– Pour t’avouer la vérité, je n’aime pas
Elle avait de la neige dans les cheveux et ses joues étaient rosies par le froid.