Rivebise la serra dans ses bras.
— Rivebise, je suis fille de chef, et princesse je resterai. Mais n’oublie pas que Lunedor se cache derrière. Si ce voyage finit un jour, nous apportant la paix, Lunedor sera tienne à jamais, et la princesse s’envolera, emportée par l’oubli.
Un coup dans la porte fit sursauter les compagnons. Un nain apportait la carte de la part du Grand Bulp.
Tanis l’étendit par terre, et se mit à rire.
— Nous aurions dû nous y attendre. Je me demande si le Grand Bulp se souvient seulement de l’emplacement de la « grande chambre secrète » ?
— Bien sûr que non, répondit Raistlin. C’est pourquoi il n’y est jamais retourné. En tout cas, il y en a un parmi nous qui sait où est l’antre du dragon.
Les compagnons suivirent le regard du mage.
Boupou, méfiante, fit une moue.
— C’est vrai, je connais l’endroit secret. J’ai vu les jolis cailloux. Mais rien dire au Grand Bulp !
— Tu nous le diras, à nous ? demanda Tanis.
Boupou consulta des yeux Raistlin. Il opina du chef.
— Je dirai, marmonna-t-elle. Donne la carte.
Voyant que les autres étaient tous penchés sur le croquis, Raistlin fit signe à son frère.
— Dis-moi, le plan n’a pas changé ? chuchota le mage.
— Non, mais il ne me plaît pas. Je devrais t’accompagner.
— C’est idiot, répliqua Raistlin, tu me gênerais ! Je t’assure que je ne cours aucun risque, ajouta-t-il affectueusement.
Il prit son frère par le cou et murmura :
— Je voudrais que là-bas tu fasses quelque chose pour moi.
Raistlin était brûlant, ses yeux luisaient comme la braise. Caramon essaya de se dégager de son étreinte, mais son jumeau le retint fermement.
— De quoi s’agit-il ? demanda Caramon à contrecœur.
— D’un grimoire de magie.
— Ah ! voilà pourquoi tu voulais venir à Xak Tsaroth ! dit Caramon. Tu savais que ce grimoire s’y trouvait.
— J’ai lu quelque chose à ce sujet, il y a des années. Tous ceux de mon ordre savaient qu’il était à Xak Tsaroth, mais nous le supposions perdu en même temps que la cité. Quand j’ai appris que la ville avait échappé à la destruction, j’ai pensé qu’il subsistait une chance de le retrouver. Pour un magicien, ce grimoire est un trésor fabuleux. Tu peux être sûr que si le dragon l’a trouvé, il s’en est servi !
— Et tu veux que je te le rapporte… À quoi ressemble-t-il ?
— À n’importe quel grimoire, si ce n’est que son parchemin blanc comme neige est relié de cuir bleu nuit et gravé de runes d’argent. Au toucher, il est glacial comme la mort…
— Que dit l’inscription ?
— Inutile que tu le saches…
— À qui appartenait-il ?
Raistlin ne répondit pas. Il était ailleurs.
— Tu n’as jamais entendu parler de lui, murmura-t-il comme dans un rêve. Il s’appelait Fistandantibus, et c’était l’un des hommes les plus remarquables de notre ordre.
— D’après ce que tu décris…, articula lentement Caramon, qui redoutait la réponse de son frère, Fistandantibus… portait-il la Tunique Noire ?
— Tu en demandes trop ! Tu es comme tous les autres ! Il n’y en a pas un parmi vous qui me comprenne ! (Voyant que le visage de son frère se crispait douloureusement, il soupira.) Aie confiance en moi, Caramon. Ce n’est pas un grimoire particulièrement redoutable, c’est surtout celui d’un ancien, qui lui a appartenu alors qu’il était encore très jeune, vraiment très jeune… Mais il représente beaucoup pour moi. Trouve-le ! Tu dois…
Il se remit à tousser.
— D’accord, Raist ! promit Caramon pour apaiser son frère. Ne te mets pas dans cet état. Je le trouverai.
— Mon bon Caramon, mon excellent Caramon, dit faiblement le mage lorsqu’il eut repris son souffle. Maintenant, laisse-moi, j’ai besoin de repos. Je dois me préparer.
Caramon se retourna et faillit trébucher sur Boupou, qui le considéra d’un air soupçonneux.
— Que se passe-t-il, Caramon ? demanda Tanis quand il eut rejoint le groupe. Des problèmes ?
— Non… non, rien, rien du tout. Je voulais accompagner Raistlin, mais il prétend que je le gênerais.
Tanis sentit que le guerrier ne disait pas toute la vérité. Caramon était prêt à verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour chacun d’eux, mais le demi-elfe se demandait parfois s’il ne les trahirait pas par fidélité à Raistlin.
— Raistlin a raison, dit finalement Tanis en tapotant l’épaule de Caramon. Il ne court aucun risque. Boupou sera avec lui, et elle le ramènera ici pour qu’ils se cachent. Il lui suffira de créer l’illusion d’un incendie pour faire diversion. Cela fera sortir le dragon de son antre, mais Raistlin sera parti bien avant. (Il parla à la cantonade :) Maintenant, tout le monde est prêt ?
Les compagnons se levèrent en silence. Raistlin s’avança, le capuchon rabattu sur la tête, les mains dans ses manches. Il se dégageait de lui une aura indéfinissable qui venait d’ailleurs.