Читаем Comme un roman полностью

«Lorsqu'elle eut treize ans, son père l'amena lui-même à la ville pour la mettre au couvent. Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais où ils eurent à leur souper des assiettes peintes qui représentaient l'histoire de mademoiselle de La Vallière. Les explications légendaires, coupées ça et là par l'égratignure des couteaux, glorifiaient toutes la religion, les délicatesses du cœur et les pompes de la Cour.»

La formule: «Ils eurent à leur souper des assiettes peintes…» lui arrache un sourire fatigué: «On leur a donné à bouffer des assiettes vides? On leur a fait becqueter l'histoire de cette La Vallière?» Il fait le malin. Il se croit en marge de sa lecture. Erreur, son ironie a tapé dans le mille. Car leurs malheurs symétriques viennent de là: Emma est capable d'envisager son assiette comme un livre, et lui son livre comme une assiette.

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Pendant ce temps, au lycée (comme disaient en italiques les bandes dessinées belges de leur génération), les parents:

– Vous savez, mon fils… ma fille… les livres…

Le professeur de français a compris: l'élève en question «n'aime pas lire».

– D'autant plus surprenant qu'enfant, il lisait beaucoup… il dévorait, même, n'est-ce pas, chéri, on peut dire qu'il dévorait?

Chéri opine; il dévorait.

– Il faut dire que nous lui avons interdit la télévision!

(Un autre cas de figure celui-là: l'interdiction absolue de la télé. Résoudre le problème en supprimant son énoncé, encore un fameux truc pédagogique!)

– C'est vrai, pas de télévision pendant l'année scolaire, c'est un principe sur lequel nous n'avons jamais transigé!

Pas de télévision, mais piano de cinq à six, guitare de six à sept, danse le mercredi, judo, tennis, escrime le samedi, ski de fond dès les premiers flocons, stage de voile dès les premiers rayons, poterie les jours de pluie, voyage en Angleterre, gymnastique rythmique…

Pas la moindre chance donnée au plus petit quart d'heure de retrouvailles avec soi-même.

Sus au rêve!

Haro sur l'ennui!

Le bel ennui…

Le long ennui…

Qui rend toute création possible…

– Nous faisons en sorte qu'il ne s'ennuie jamais.

(Pauvre de lui…)

– Nous sommes, comment dire? nous sommes attentifs à lui donner une formation complète…

– Efficace, surtout, chérie, je dirais plutôt efficace.

– Sans quoi nous ne serions pas là.

– Par bonheur, ses résultats en math ne sont pas mauvais…

– Evidemment, le français…

O le pauvre, le triste, le pathétique effort que nous imposons à notre orgueil d'aller ainsi, bourgeois de Calais et d'ici, les clefs de notre échec tendues devant nous, rendre visite au professeur de français - qui écoute, le professeur, et qui dit oui-oui, et qui aimerait bien se faire une illusion une seule fois dans sa longue vie de prof, se faire une toute petite illusion… mais non:

– Pensez-vous qu'un échec en français puisse être une cause de dedoublement?

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Ainsi vont nos existences: lui dans le trafic des fiches de lecture, nous face au spectre de son redoublement, le professeur de français en sa matière bafouée… Et que vive le livre!

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Très vite, un professeur devient un vieux professeur. Ce n'est pas que le métier use plus qu'un autre, non… c'est d'entendre tant de parents lui parler de tant d'enfants - et parler d'eux-mêmes ce faisant - et d'entendre tant de récits de vies, tant de divorces, tant d'histoires de familles: maladies infantiles, adolescents qu'on ne maîtrise plus, filles chéries dont l'affection vous échappe, tant d'échecs pleurés, tant de réussites brandies, tant d'opinions sur tant de sujets, et sur la nécessité de lire, en particulier, l'absolue nécessité de lire, qui fait l'unanimité.

Le dogme.

Il y a ceux qui n'ont jamais lu et qui s'en font une honte, ceux qui n'ont plus le temps de lire et qui en cultivent le regret, il y a ceux qui ne lisent pas de romans, mais des livres utiles, mais des essais, mais des ouvrages techniques, mais des biographies, mais des livres d'histoire, il y a ceux qui lisent tout et n'importe quoi, ceux qui «dévorent» et dont les yeux brillent, il y a ceux qui ne lisent que les classiques, monsieur, «car il n'est meilleur critique que le tamis du temps», ceux qui passent leur maturité à «relire», et ceux qui ont lu le dernier untel et le dernier tel autre, car il faut bien, monsieur, se tenir au courant…

Mais tous, tous, au nom de la nécessité de lire.

Le dogme.

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