Ma femme - a conclu le voyageur pendant que les deux serviteurs le regardaient grandement surpris -n'avait qu'une sœur qui est morte il y a dix-huit jours. De toute évidence, vous vous trompez puisque je reviens de Rome où j'ai assisté à son enterrement.
Ces mots furent prononcés avec une froideur indéfinissable.
La fille d'Helvidius Lucius a fixé ses yeux remplis de larmes dans les siens et son visage transfiguré portait les marques d'une infinie affliction. Elle comprit qu'il était inutile de caresser tout espoir de retourner au sein de sa famille. À toutes fins utiles elle était morte, et pour toujours. Elle sembla se réveiller plus violemment encore de sa déchirante réalité, mais sentant que quelqu'un soutenait son esprit à un moment aussi bouleversant, elle s'est exclamée:
Je comprends !...
Et avec la plus grande froideur pour ne pas trahir ses sentiments devant les serviteurs, le mari d'Helvidia a répliqué :
Madame, si vous voulez utiliser cette excuse pour obtenir l'argent nécessaire à vos besoins, je vous en donne volontiers.
Et pendant que le fier Romain plongeait sa main dans sa bourse pour accomplir cette action, elle lui répondit avec noblesse et dignité :
Caius, suis ton chemin en paix !... Garde ton argent, car une bénédiction de Jésus vaut plus qu'un million de sesteroes ! ...
Extrêmement dérouté, le mari d'Helvidia a rangé sa bourse s'adressant contrarié à ses employés en ces termes :
Éteignez les lanternes et continuons le voyage !
Observant la consternation des deux esclaves éminemment impressionnés par cette scène, il a ajouté hautain :
Qu'attendez-vous de plus pour exécuter mes ordres ? Ne nous laissons pas impressionner par des incidents de parcours. Je ne suis jamais passé par les routes d'Anxur sans rencontrer une folle de ce genre !
Et comme s'ils étaient soudainement réveillés par des ordres plus sévères, Urbain et Lucrèce ont obéi aux exigences de leur maître, éteignant la lumière qui brillait dans l'obscurité de la nuit et quelques instants plus tard, les trois cavaliers reprenaient leur marche comme si de rien n'était.
Caius Fabrice était généreux mais la faute de Célia, aux yeux de sa famille, était trop grave pour qu'elle puisse être pardonnée. À personne, il ne révélerait cette rencontre, d'autant plus qu'entre lui et sa femme, ils avaient formulé l'engagement de garder le secret absolu à ce sujet. Il décida donc d'étouffer tous les élans de compassion qu'il aurait pu éprouver pour sa malheureuse belle-sœur.
Quant à elle, les yeux baignés de larmes, elle est restée comme pétrifiée à entendre le trot cadencé des animaux qui s'éloignaient jusqu'à ce qu'un silence profond et mystérieux se fasse sentir de toute part dans la forêt lugubre.
Dans sa fragilité féminine, voyant Caius éloigner, elle éprouva l'envie de demander son aide le suppliant d'avoir la charité de la conduire jusqu'à la ville de Fundi où elle trouverait certainement quelqu'un pour l'abriter pendant une nuit. Toutefois, elle était restée muette comme si l'insensibilité de son beau-frère l'avait glacée jusqu'à l'âme.
Elle pleura longuement mêlant ses prières à ses larmes abondantes, les yeux tournés vers le ciel où brillaient quelques rares étoiles...
Le pas chancelant, elle est retournée à la grotte sauvage que la nature avait creusée.
Une fois à l'intérieur, elle a installé l'enfant de la meilleure manière possible et est entrée méditer morose.
Les vents du Latium ont commencé à susurrer une symphonie triste et étrange, alors qu'au loin elle pouvait entendre les échos des loups sauvages hurlant dans la forêt...
Plus que jamais, Célia s'est sentie abandonnée. Un profond découragement s'est emparé de son esprit, sentant que malgré toute sa foi, sa force morale s'évanouissait face à tant de douloureuses souffiances... Elle s'est souvenue, une à une, de toutes ses joies domestiques se rappelant chacun de ses parents avec les caractéristiques charmantes de sa tendre affection. Jamais la souffrance morale n'avait touché si profondément son cœur sensible !... Alors que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues, plus que jamais lui sont revenues en mémoire les exhortations de Nestor à la veille du sacrifice, suppliant Jésus de lui accorder des forces pour supporter les résignations purificatrices...
Plongée dans une profonde obscurité, elle câlinait le visage du tout petit, craignant l'attaque des reptiles et sans perdre confiance en la miséricorde de Jésus, elle sécha ses larmes pour mieux réfléchir à l'avenir.
C'est alors qu'à la stupeur de ses yeux affligés, un point lumineux a émergé de l'ombre qui augmentait à une vitesse prodigieuse sans qu'elle puisse savoir réellement ce qui se passait... Étourdie et abasourdie, elle finit par deviner à ses côtés la figure de son grand-père qui envoyait à son cœur tourmenté les plus tendres sourires..