Un jour de grand abattement physique, Cneius Lucius vit que Marcia ouvrait la porte de sa chambre tout doucement avec un sourire de surprise. L'aînée de ses filles venait lui annoncer l'arrivée de quelqu'un de très cher à son généreux esprit. C'était Silain, son fils adoptif, qui revenait de Gaules. Le patricien lui a demandé d'entrer avec une joie chaleureuse et sincère. Il s'est levé tremblant pour étreindre le jeune homme qui, dans la jeunesse de ses vingt deux ans, l'a aussi embrassé, pleurant presque de joie.
Silain, mon fils, tu as bien fait de venir ! -s'exclama-t-il calmement. Mais dis-moi ! Tu viens à Rome par ordre de tes chefs ?
Le jeune homme lui dit que non, qu'il avait demandé un congé pour revoir son père adoptif qui lui manquait beaucoup, ajoutant son intention de rester dans la capitale de l'Empire, si toutefois cela était accepté, car il expliqua que son commandant en Gaules, Jules Saul était un homme brut et cruel qui le soumettait sans cesse à de mauvais traitements prétextant respecter la discipline. Il supplia son père de le protéger auprès des autorités en empêchant son retour.
Cneius Lucius l'écouta avec intérêt et répliqua :
Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire tes justes désirs.
Ensuite, il a beaucoup réfléchi alors que son fils adoptif remarquait son grand abattement physique.
Sortant, néanmoins, de ses pensées austères, Cneius Lucius a ajouté :
Silain, tu n'es pas sans connaître le passé et, un jour déjà, je t'ai parlé des circonstances qui t'ont uni à mon cœur paternel.
Oui - a répondu le jeune homme sur un ton résigné
-, je connais l'histoire de ma naissance, mais les dieux ont bien voulu accorder au misérable abandonné que je suis, un père affectueux et dévoué comme vous et je ne maudis pas ma destinée.
L'ancien s'est levé et, après l'avoir embrassé pris d'émotion, il s'est mis à marcher dans la chambre se soutenant avec effort. À un moment donné, il a arrêté ses pas lents devant un coffre-fort en bois décoré d'acanthe et l'ouvrit soigneusement.
Parmi les parchemins qui se trouvaient là, il a retiré un petit médaillon, s'adressant au jeune homme en ces termes :
Mon fils, les enfants trouvés n'existent pas pour la Providence divine. Pas même en remontant dans le passé, tu ne dois nourrir de peines en ton for intérieur, en raison de ton sort. Tous les destins sont utiles et bons quand nous savons profiter des possibilités que le ciel nous accorde pour notre propre bonheur...
Et, comme s'il plongeait sa pensée dans l'abîme des souvenirs les plus lointains, il a continué après une pause :
Quand Marcia t'a embrassé pour la première fois dans cette maison, elle a trouvé sur ta poitrine de nouveau-né ce médaillon que j'ai gardé pour te le donner plus tard. Je ne l'ai jamais ouvert, mon fils. Son contenu ne pouvait m'intéresser, car quoi qu'il en soit tu devais être pour moi un fils beaucoup aimé... Cependant, il me semble que l'occasion de te le donner est arrivée. Mon cœur me dit que je ne vivrai pas très longtemps maintenant. Je dois être en train d'épuiser les derniers jours d'une existence dont je demande de toutes mes forces le pardon du ciel pour mes erreurs. Mais, si je me trouve au bord de la tombe, tu es jeune et tu as largement le droit à l'existence terrestre... Il est possible que tu vives à Rome désormais, et il se peut aussi que vienne le moment où tu auras besoin d'un souvenir comme celle-ci... Garde-le, donc, avec toi.
Silain, à cet instant, était profondément ému.
Mon père - s'exclama-t-il tendrement tout en prenant le médaillon délicatement -, je le garderai en souvenir sans que le contenu ne m'intéresse. De toute façon, en ce qui me concerne, je n'aurai pas d'autre père si ce n'est vous. En cette âme généreuse, j'ai trouvé l'affection maternelle qui m'a manqué dans les jours les plus reculés de ma vie.
Tous deux se sont étreints avec attachement poursuivant leurs échanges sur des faits relatifs à la province ou à la cour.
Dans la soirée, le vénérable patricien reçut la visite de Fabius Corneille auprès de qui il sollicita que des mesures favorables fussent prises à l'égard de son fils adoptif.
Très sensible aux circonstances solennelles dans lesquelles cette demande était faite, le censeur a examiné le sujet avec le plus grand intérêt, de sorte que peu de temps après, il obtenait le transfert de Silain pour Rome, et le prenait à son service dans le cadre même de sa gestion administrative, faisant de lui un fonctionnaire de son entière confiance.
Considérant l'admission de ce nouveau personnage dans la sphère de ses relations familiales, Alba Lucinie s'est souvenue des confidences de Tullia, mais prit soin de mettre de côté ses impressions personnelles, acceptant volontiers l'amitié respectueuse que Silain lui témoignait.
Au foyer d'Helvidius Lucius, néanmoins, la situation morale se compliquait de plus en plus, en raison des avances de Lolius Urbicus qui, d'une certaine façon, ne se décidait pas à abandonner ses prétentions criminelles.