Читаем Cinquante ans plus tard полностью

Depuis qu'il s'était habitué à méditer sincèrement, les fantômes de la douleur et les étonnants contrastes des destins humains hantaient son esprit. Bien qu'attaché aux traditions les plus pures de ses ancêtres et les ayant transmises avec fidélité et amour à ses descendants, son cœur ne pouvait accepter toute la vérité divine incarnée en Jupiter, symbole ancien qui alimentait toutes les vieilles croyances.

Désireux de donner une bonne leçon à cette enfant par soucis d'éducation, c'est son esprit qui s'en était trouvé ébranlé, ému qu'il fût par les nouveaux concepts portés aux lèvres pures d'un ange. Lui qui avait l'habitude d'enquêter sur les causes profondes de la douleur, de sentir les souffrances de ceux qui gémissaient dans la captivité, venait de recevoir une merveilleuse clé pour résoudre les capricieuses énigmes de la destinée. La vision des existences successives, la loi des compensations, les routes du rachat spirituel par l'expiation et par la souffrance, étaient maintenant accessibles à son raisonnement, comme des solutions providentielles.

Sa culture des auteurs grecs lui laissait présumer que le sujet ne lui était pas totalement étranger, mais la parole affectueuse et convaincante de sa petite-fille, témoignant de la vérité par ses souffrances prématurées, ouvrait à son esprit un sentier nouveau à toutes les cogitations en ce sens.

La tête penchée sur le divan du balcon, ses yeux contemplaient l'image magnifique de Jupiter Stator taillée dans l'ivoire, au centre des autres dieux de sa famille et de sa maison, le cœur pris d'angoisses.

Il s'est levé et a marché posément autour des niches illuminées et ornées de fleurs. L'image de Jupiter n'éveillait déjà plus en lui les sentiments de vénération miséricordieuse des nuits précédentes.

Face aux révélations douces et profondes de Célia, il ressentait en son for intérieur l'amer soupçon que tous les dieux de ses respectables ascendants basculaient et roulaient des autels, se confondant au tourbillon des désillusions des vieilles croyances. L'âme oppressée, le vénérable patricien observait que de nouvelles équations philosophiques et religieuses obsédaient d'un seul coup son cœur... Puis, appréhensif et perplexe, Cneius Lucius se mit à entendre intérieurement la douce rumeur d'une marche divine... Il lui semblait que la figure douce et énergique du prophète de Nazareth dont il connaissait la philosophie de pardon et d'amour à travers les exhortations courantes, apparaissait au monde pour faire voler en éclats toutes les idoles en pierre et dominer le cœur humain pour toujours !...

Si le respectable ancien était l'ami de la vérité, il ne T'était pas moins du sanctuaire sacré des traditions austères.

Dans l'abri consacré aux divinités du foyer, il sentit que l'atmosphère asphyxiait son cœur et son entendement. Instinctivement, il a ouvert l'une des fenêtres les plus proches par où l'air de la nuit a pénétré en bourrasque, rafraîchissant son front tourmenté.

Il s'est penché pour contempler la ville presque endormie. Sa conversation avec sa petite-fille lui avait semblé avoir duré un temps indéfini, si grand fut l'effet de ses affirmations profondes et irrésistibles...

Les yeux humides, il a regardé le cours du Tibre dans toute l'extension de ce paysage que son regard pouvait atteindre, calmant ses réflexions, abattu par les effets de lumière que la clarté lunaire opérait capricieusement sur les eaux.

Pendant combien d'heures avait-il contemplé les constellations fulgurantes, sondant les mystères divins du firmament ?

Ce n'est que bien plus tard, à l'orée du jour, que la voix caressante de Marcia est venue le sortir de ses cogitations graves et intenses, l'invitant à aller se coucher.

Cneius Lucius s'est alors dirigé vers sa chambre à pas lents, le front ridé d'angoisses, les yeux profonds et tristes, comme quelqu'un qui aurait amèrement pleuré.

OMBRES DOMESTIQUES

La vie de nos personnages à Rome a recommencé sans grand événement, ni surprise.

Malgré tout son amour pour la province, Helvidius Lucius avait l'agréable sensation d'être retourné à son ancien milieu, occupant une position plus élevée qui lui permettrait d'enrichir, avant tout, ses compétences dans le cadre de sa vocation politique au service de l'État.

En accordant la liberté à Nestor, il voulait lui faire partager les tâches qui relevaient de sa position et l'assigner aux travaux de sa maison comme le citoyen cultivé et indépendant qu'il était.

C'est ainsi que l'ancien esclave loua une chambre d'habitation collective dans les environs de la porte Salarienne ; il devint l'enseignant de ses filles et l'assista dans ses travaux huit heures par jour, recevant pour ces services une rémunération régulière.

En dehors, l'affranchi était entièrement libre de s'occuper de ses intérêts personnels.

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