Nous avons passé toute une année sur une mer de rosés parce que nous nous aimions intensément. Portés par notre calme idylle, nous parlions de Jésus et de ses gloires divines, et quand j'évoquais la possibilité de notre union à la face de ce monde, Cirus nie disait que nous devions attendre le bonheur du Règne du Seigneur, alléguant que sur terre, il n'était pas encore possible de vivre un mariage heureux entre un esclave misérable et une jeune patricienne.
Parfois, il m'attristait avec ses propos dénués d'espoirs terrestres, mais ses inspirations étaient si élevées et si pures que le temps d'un regard, son cœur savait transporter le mien sur le chemin de la foi qui mène à tout attendre, non pas de la terre ou des hommes, mais du ciel et de l'amour infini de Dieu.
Le valeureux ancien entendait tout, sans un reproche, bien que son attitude mentale fût marquée par la plus grande consternation.
Observant que sa petite-fille faisait une pause à son récit charmant et triste, Cneius Lucius l'a interrogée avec bienveillance :
Quelle fut l'attitude de ce jeune envers ton père ?
Cirus admirait sa générosité franche et spontanée, révélant intérieurement sa plus sainte gratitude pour son acte de fraternité quand il le libéra pour toujours. A tout instant, il m'incitait à le respecter chaque fois davantage et à découvrir ses qualités les plus nobles ; il me parlait sans cesse de ses attitudes généreuses avec enthousiasme, admirant son dévouement au travail et sa singulière énergie.
Et Helvidius n'a jamais découvert tes sentiments ? - demanda son grand-père admiratif.
Il l'a su, si - a répondu Célia humblement. - Je vous raconterai tout sans omettre un seul détail.
Dans notre maison, il y avait un chef de service qui dirigeait les activités de tous les employés de la famille. Pausanias avait un cœur qui aimait le scandale et n'avait rien de sincère. Mon père, ayant besoin de voyager constamment, le considérait presque comme mandataire de sa volonté, étant donné les nombreuses capacités dont il était doté, et Pausanias a très souvent abusé de cette confiance généreuse pour gérer la discorde dans notre foyer. Comme il avait remarqué mon intimité avec le jeune libéré dont les dons moraux avaient si fortement Impressionné mon cœur, il a attendu, et un beau jour au retour de mon père d'un voyage en Idumée, il a empoisonné son esprit avec des insinuations calomnieuses sur ma conduite.
Et qu'a fait Helvidius ? - a interrogé le vieil homme lui coupant brusquement la parole, comme s'il devinait le déroulement de toutes les scènes produites à distance.
Il a sèchement réprimandé ma mère, l'accusant, et m'a fait appeler en sa présence, de sorte que j'ai reçu ses réprimandes et ses conseils, sans jamais me permettre de tout lui exposer avec sincérité et franchise comme je le fais maintenant.
Et qu'est-il advenu du libéré ?... - a demandé Cneius Lucius soucieux de connaître la fin de l'histoire.
Il l'a fait mettre aux fers, commandant à Pausanias de lui appliquer la punition qu'il jugeait nécessaire.
Attaché au tronc, Cirus a été battu à plusieurs reprises pour le crime de m'avoir enseigné à aimer de tout cœur et en esprit avec le plus tendre respect toutes les traditions du monde et de la famille sur l'autel du dévouement silencieux et du sacrifice spirituel.
Le second jour de ses indicibles souffrances, j'ai réussi à le voir, malgré la surveillance extrême que tout le monde avait décidé d'exercer sur ma personne.
Comme pendant les jours de notre tranquillité heureuse, Cirus m'a reçue avec un sourire de bonheur, ajoutant que je ne devais nourrir aucun sentiment de rancœur pour la décision prise par mon père, considérant que son esprit était bon et généreux et que, si nous ne pouvions pas casser les préjugés millénaires de la terre, nous ne devions pas non plus abriter l'ingratitude dans nos coeurs.
La souffrance, néanmoins - continua-t-elle, séchant les larmes de ses souvenirs -, me déchirait l'âme.
Reconnaissant la douloureuse situation de celui qui concentrait tous mes espoirs, j'en suis arrivée à maudire sincèrement ma position privilégiée. A quoi donc servaient les attentions de ma famille et les prérogatives de mon nom, si l'âme jumelle de ma destinée était incarcérée dans une affreuse nuit de souffrances ?...