Sara haussa les épaules et enduisit copieusement de savon un morceau de toile pour en frotter le corps de Catherine. Peu à peu, il retrouvait sa couleur normale, malgré les bleus et les ecchymoses qui le marbraient.
— Je ne sais pas ! Mais je le croirais volontiers. C'est une drôle de fille, tu sais ! Je l'ai vue plusieurs fois chez Jacquot-de-la-Mer. Les hommes la craignaient à cause de son regard.
Se rappelant les yeux étranges de Pâquerette, de couleurs différentes, l'un bleu et l'autre brun, Catherine songea qu'il y avait peut-être un peu de quoi, mais, toute au plaisir de redevenir propre, elle oublia bientôt son hôtesse.
Sara la sortit de l'eau et l'assit devant le feu pour la sécher. Puis elle reprit de l'eau pour lui laver la tête. Catherine se laissait faire comme un petit enfant.
C'était délicieux de s'abandonner aux mains habiles de Sara, comme autrefois, quand elle n'était qu'une gamine poussée trop vite. La crasse et la fatigue s'en allaient en même temps. La jeune femme se sentait renaître.
Lorsque Pâquerette rentra, un peu plus tard, elle resta un instant au seuil de la porte, un fagot dans les bras, figée de surprise par le spectacle qu'elle découvrait. Assise sur un escabeau auprès du feu qui rosissait sa peau, enveloppée d'une pièce d'étoffe qui laissait à nu ses jambes fines et ses belles épaules, Catherine, les yeux mi-clos, avait l'air de sommeiller. Debout derrière elle, Sara peignait et repeignait une masse d'or encore humide qui était sa chevelure, la plus belle, la plus longue que la jeune fille ait jamais vue. Était-ce vraiment la triste épave de la nuit précédente, cette chose grise et maculée de sang qui s'était transformée soudain en une ravissante créature.
— Soyez gentille de fermer la porte, fit Sara en se détournant à demi, il fait si froid...
Machinalement, Pâquerette claqua le battant. Mais ses étranges yeux bicolores s'étaient curieusement rétrécis et Sara surprit le regard dont elle enveloppait Catherine. La beauté soudain découverte de la fugitive avait frappé Pâquerette comme un soufflet et Sara sentit comme si elle l'eût touchée du bout du doigt l'envie se glisser dans l'âme de la sorcière ; elle se promit de ne pas trop lui faire confiance et de la surveiller sans en avoir l'air.
Landry rentra tard dans la soirée, couvert de sang et courbé sous le poids d'un jeune sanglier qu'il avait tué au couteau. Il était éreinté et ravi. Mais, en découvrant Catherine, redevenue fraîche et charmante dans une simple robe de laine bleue appartenant à Pâquerette, sa joie éclata avec exubérance. Il la saisit par la taille à deux mains et l'enleva en l'air.
— Enfin, te revoilà semblable à ton image ! Comme tu es jolie, ma Cathy ! La plus jolie fille que j'aie jamais vue... ! Tu es un peu trop maigre, mais ça ne durera pas...
Plantant un baiser sur chacune des joues de la jeune femme, il la reposa à terre puis se tourna vers Pâquerette :
— J'ai faim, dit-il.
— Tout de suite ! La soupe est prête !
La voix de la jeune fille était unie et calme comme une eau tranquille, mais Sara avait vu l'éclair de colère qui avait traversé son regard quand Landry avait embrassé Catherine. Décidément, la fille était jalouse et Sara n'en augurait rien de bon !
Après le souper, on tint un conseil de guerre. Rien n'avait bougé au château où nul n'avait dû encore découvrir les cadavres. Mais Garin reviendrait peut-
être bientôt et l'on ne pouvait laisser Catherine à la merci d'une dénonciation toujours possible, si quelqu'un remarquait sa présence dans la maison de Pâquerette.
— Le mieux, fit Landry, est de prévenir Monseigneur Philippe.
Seulement ça va demander quelque temps. Il est à Paris en ce moment.
— Et messire de Roussay ? dit Catherine, est-il à Dijon ?
— Je crois que oui ! Mais il ne pourra pas grand- chose pour toi. Que tu le veuilles ou non, Garin est ton mari. Il a tous les droits sur toi et nul homme ne peut l'empêcher de te reprendre, pas même le capitaine des gardes. Il n'y a guère que le duc dont Garin n'osera pas braver la puissance.
Je partirai demain pour Paris...
C'était évidemment la seule solution pratique, mais Catherine ne put se défendre d'une appréhension à la pensée de voir Landry s'éloigner. Auprès du jeune homme, elle ne craignait rien. Il était fort, courageux et si gai !... Le Landry d'autrefois lui était revenu tout entier.
— Pourquoi ne pas attendre tranquillement ici que le duc revienne ? Il ne sera peut-être pas longtemps absent.
— Avec lui, on ne sait jamais ! fit Landry. De plus, j'ai mon service que je ne peux abandonner longtemps. Il faut que j'aille le trouver à Paris. Il donnera les ordres nécessaires pour te mettre à l'abri et empêcher ton mari de nuire. Si tu n'étais pas... dans cet état, je t'aurais emmenée avec moi, mais le chemin est trop long d'ici à Paris, les routes trop dangereuses. Moi, je passerai sans peine et je reviendrai bien vite. Allons, souris-moi ! Tu sais bien que ton salut m'importe plus que tout au monde.