С ’est demain que nous allons `a la campagne. J’en suis enchant'e; cela pourra me servir d’excuse aux yeux de Mr. Ponomareff de ce que je ne serais pas venu si souvent.
Hier, `a une heure de l’apr`es-midi, j’ai port'e moi-m^eme ma r'eponse `a Md. J’ai choisi expr`es ce temps pour lui faire voir que je l’estime encore beau-coup pour venir me justifier moi-m^eme, et que je suis trop s^ur de mon innocence pour 'eviter de me rencontrer avec elle: mais en m^eme temps je savais qu’ils devaient n’^etre pas `a la maison, parceque Mr. m’en dit encore vendredi qu’ils ne d^ineraient pas chez eux dimanche. De sorte que j’ai su concilier mes devoirs de courtoisie envers Madame avec l’intention d’'eviter une rencontre f^acheuse o`u je pourrais bien m’emporter et lui dire des choses d'esagr'eables, et je ne veux pas manquer au respect que je lui conserve. Ma lettre dira tout: je l’ai remise, bien envelopp'e et cachet'ee, au seul domestique que j’ai pu trou-ver. J’aimerais mieux la remettre `a la femme de chambre, mais elle ne s’y trou-vait point.
Apr `es d^iner je suis all'e chez Izma"iloff qui m’a promis la veille de me mener chez le fameux Ganine, chez qui il y a tous les dimanches la musique etc. Izma"iloff m’a pourtant manqu'e de parole: il n’a pas d^in'e `a la maison et n’'etait pas encore rentr'e. En revenant, j’ai pass'e encore chez Pana"ieff qui va mieux: j’ai pris le th'e chez lui. Il m’a recu avec plus de franchise que la veille. Nous avons parl'e de Madame, enfin de mati`ere en mati`ere je suis rest'e chez lui jusqu’`a onze heures. Yakowleff est aussi venu le voir. Il a cont'e plusieurs traits du pr^etre Mansuetoff qui m’ont confirm'es dans la bonne opinion que j’en avais concue.
En sortant de chez Pana "ieff j’ai pass'e une heure chez Am'elie qui 'etait venu depuis trois mois vainement frapper `a ma porte. Je me ris quelquefois de moi-m^eme. Je me venge toujours sur ma personne des injustices qu’on me fait. Dans l’Ukra"ine, en Pologne, apr`es la disgr^ace d’une femme comme il faut, je me pr'ecipitais entre les bras d’une courtisane, comme pour tirer vengeance de mes propres sentiments. Am'elie pourtant fait exeption: elle est joli, modeste, m^eme sensible comme elle le s’expose et sa petite figure chiffonn'e d’alleman-de, et sa taille svelte et gracieuse, sa belle chevelure, son beau sein peuvent faire une illusion au d'efaut de mieux. Elle a 'et'e enchant'ee de me revoir, mais elle s’est apercue que j’'etais trop distrait.
J’ai 'et'e trop sage les trois mois derniers; je faisais le sacrifice de mes plaisirs, reprimant mon temp'erament de feu `a une personne qui s’en moquait. Parlons maintenant des folies, t^achons de nous 'etourdir en buvant dans la coupe des plaisirs faciles et d’oublier les r^eves s'eduisants d’un bonheur imagi-naire. Ici, o`u je me peins tel que je suis et que personne ne lira, du moins avant ma mort, je n’ai pas besoins de me d'eguiser.