Abigail a étreint plus tendrement son frère qui, à son tour, dissimulait difficilement sa profonde émotion. Sa chère sœur avait toujours été le précieux trésor de toute sa vie. Depuis que la mort leur avait ravi leur mère, il s'était consacré à sa sœur de tout son cœur. Sa vie vertueuse se partageait entre le travail et l'obéissance à leur père ; entre l'étude de la Loi et sa douce affection pour sa compagne d'enfance. Abigail le regardait pleine d'attachement tandis qu'il la serrait contre lui avec l'élan de son amitié pure qui unit deux âmes affines.
Après avoir longuement réfléchi, Jeziel ému lui dit : -Si je meurs, Abigail, tu dois me promettre de suivre à la lettre les conseils de mère pour que notre vie, en ce monde, ne soit pas souillée. Tu te souviendras de Dieu et du travail sanctificateur, et jamais tu n'écouteras la voix des tentations qui entraînent les créatures à la chute dans les abîmes du chemin.
Tu te souviens des dernières remarques de mère sur son lit de mort ?
Si je m'en souviens - a répondu Abigail laissant couler une larme. - J'ai l'impression d'entendre encore ses derniers mots : « Et vous mes enfants, vous aimerez Dieu par-dessus tout, de tout cœur et de tout votre entendement ».
Jeziel a senti ses yeux larmoyants à ces souvenirs, et a murmuré :
Il est heureux que tu n'aies pas oublié.
Et comme s'il désirait changer le cours de la conversation, il a ajouté avec sensibilité :
Maintenant, tu dois dormir.
Bien que ne voulant pas se reposer, elle a pris son pauvre manteau et improvisa un lit à la lumière pâle du clair de lune qui pénétrait par les barreaux et, lui baisant le front avec une indicible tendresse, il lui a dit affectueusement :
Repose-toi, ne t'inquiète pas de notre situation, notre destinée appartient à Dieu.
Pour lui être agréable, Abigail s'est calmée comme elle put, alors qu'il s'approchait de
la fenêtre pour regarder la beauté de la nuit saupoudrée de lumière. Son jeune cœur était plein d'angoissantes cogitations. Maintenant que son père et sa sœur reposaient dans l'ombre, il laissa libre cours aux idées profondes qui remplissaient son esprit généreux. Il cherchait, anxieusement, une réponse aux questions qu'il envoyait aux étoiles lointaines. Il avait sincèrement confiance en son Dieu de sagesse et de miséricorde que ses parents lui avaient fait connaître. À ses yeux, le Tout-Puissant était toujours infiniment juste et bon. Lui qui avait éclairé son père et consolé sa petite sœur, demandait à son tour en son for intérieur, pourquoi ils passaient par de telles épreuves.
Comment justifier par une simple raison, l'emprisonnement inattendu d'un vieil homme honnête, d'un jeune homme travailleur et d'une enfant innocente ? Quel délit irréparable avaient-ils commis pour mériter une expiation aussi affligeante ? D'abondants sanglots surgirent lorsqu'il se rappela l'humiliation de sa sœur, mais il n'a pas cherché à sécher les larmes qui inondaient son visage, pour les cacher d'Abigail qui l'observait peut-être dans l'ombre. Il se rappelait, un à un, les enseignements des Écrits sacrés. Les leçons des prophètes consolaient son âme anxieuse. Néanmoins, il portait dans son cœur une nostalgie infinie. Il se souvenait de l'affection maternelle que la mort leur avait ravie. Si elle avait été là, leur mère saurait comment les consoler. Quand ils étaient enfants lors des petites contrariétés, elle leur enseignait qu'en tout Dieu est bon et miséricordieux ; que dans la maladie, il corrige le corps, et dans les angoisses de l'âme il éclaire et illumine le cœur. En remontant le cours de ses réminiscences, il se disait aussi qu'elle l'avait toujours incité au courage et à la joie, lui faisant sentir que la créature convaincue de la paternité divine marche dans le monde, fortifiée et heureuse.
Édifié dans sa foi, il a cherché à se reprendre et après de longues réflexions, il s'est allongé sur la dalle froide, cherchant un peu de repos dans le silence auguste de la nuit.
Le jour s'est levé empreint de graves attentes.
Quelques heures plus tard, entouré de ses nombreux gardes et auxiliaires, Licinius Minucius recevait les prisonniers dans la salle destinée aux criminels ordinaires où se trouvaient exhibés quelques instruments de punition et de torture.
Jochedeb et ses enfants trahissaient par la pâleur de leur visage l'émotion profonde qui les dominait.
Les coutumes en ces temps anciens étaient excessivement inhumaines pour que le juge implacable et la majorité de son entourage éprouvent de la commisération à leur misérable aspect.
Quelques sbires se trouvaient près des poteaux de torture où pendaient des fouets et des chaînes impitoyables.
Il n'y eut pas d'interrogatoire, ni aucun témoignage comme on aurait pu s'y attendre. Face à des mesures aussi odieuses et rudement appelé par la voix métallique du légat, le vieux Juif s'est approché vacillant et tremblant :