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Des bottes résonnèrent lourdement dans l’entrée, la porte s’ouvrit brutalement et une fougueuse équipe de marins entra. Enveloppés dans leurs capotes poilues, emmitouflés de cache-nez de laine, reprisés et loqueteux, les barbes raides de glaçons, on eût dit une invasion d’ours du Labrador. Ils venaient de débarquer et c’était la première maison dans laquelle ils posaient le pied. Il n’y a, dès lors, rien d’étonnant à ce qu’ils se dirigeassent, comme un seul homme, vers la gueule de la baleine – le bar – où l’antique petit Jonas ridé, qui y officiait, versa à tous des rasades. L’un deux se plaignant d’un mauvais rhume de cerveau, Jonas lui fit une mixture de gin et de mélasse, assez pareille à de la poix, lui jurant que c’était la panacée idéale pour tous les rhumes et corizas de la création, même les plus rebelles, qu’on les eût attrapés sur la côte du Labrador ou exposé au vent sur une banquise.

L’alcool eût tôt fait de leur monter à la tête, comme il arrive généralement même aux plus fieffés ivrognes lorsqu’ils débarquent et ils commencèrent à mener grand tapage.

Pourtant je remarquai que l’un d’eux se tenait à l’écart, et bien qu’il parût soucieux de n’être pas un rabat-joie pour ses camarades à cause de sa gravité, il évitait de se mêler au chahut. Il m’intéressa aussitôt; et étant donné que des dieux marins voulurent qu’il devînt très bientôt mon compagnon (de lit seulement dans l’histoire) je vais tenter de le décrire un peu. Il faisait six bons pieds de haut, d’imposantes épaules et une poitrine comme un batardeau. J’ai rarement vu un homme ayant une pareille carrure. Son visage tanné, d’un brun sombre, faisait paraître encore plus étincelantes ses dents blanches; au fond de ses yeux passaient les ombres profondes de souvenirs qui ne paraissaient guère lui apporter de joie. Son accent trahissait un homme du Sud et sa belle prestance me fit penser qu’il était un de ces puissants montagnards venus des Alleghanies en Virginie. Lorsque l’orgie de ses camarades atteignit son paroxysme, cet homme disparut discrètement, et je ne le revis pas jusqu’au moment où il devint mon compagnon en mer. Pourtant, quelques instants à peine s’étaient écoulés que les matelots remarquèrent son absence et comme il semblait avoir du prestige auprès d’eux, ils hurlèrent d’une même voix: Bulkington! Bulkington! Où est Bulkington? et s’élancèrent à sa poursuite hors de la maison.

Il était maintenant près de neuf heures et un calme, qui paraissait surnaturel après ces bacchanales, régna dans la pièce, je commençai à me féliciter du petit plan que j’avais échafaudé juste avant l’entrée des marins.

Aucun homme n’aime coucher à deux; en fait, votre propre frère lui-même n’est pas le bienvenu dans votre lit. J’en ignore la raison mais tout le monde préfère la solitude du sommeil. Et quand il faut dormir avec un étranger, dans une auberge étrangère, en une ville étrangère et que cet étranger est un harponneur, alors vos objections se multiplient. Je ne voyais pas non plus de raison valable à être contraint, moi plutôt qu’un autre, de partager mon lit; car les marins ne dorment pas davantage à deux en mer que les rois célibataires de la terre ferme. Naturellement ils dorment tous dans le même carré, mais chacun a son hamac, se couvre avec sa propre couverture et dort dans sa propre peau.

Plus je songeais à ce harponneur, plus me devenait intolérable l’idée de dormir avec lui. On pouvait raisonnablement se dire qu’un harponneur n’avait pas des dessous – de coton ou de laine – des plus propres, et moins encore des plus raffinés. J’en avais la chair de poule. D’autre part, il se faisait tard, et mon respectable harponneur aurait dû être rentré et prêt à aller au lit. En supposant encore qu’il me tombe dessus à minuit, comment saurais-je de quel bouge infâme il sortait?

– Patron! J’ai changé d’avis au sujet du harponneur. Je ne coucherai pas avec lui. J’essayerai ce banc.

– Comme vous voudrez; je regrette de ne pas pouvoir vous prêter une nappe en guise de matelas, cette planche est diablement raboteuse, dit-il en palpant les nœuds et les entailles. Mais attendez un peu, poltron, j’ai un rabot de charpentier dans le bar, attendez, vous dis-je, je vais vous installer douillettement. Aussitôt dit aussitôt fait, il prit le rabot et, essuyant d’abord le banc avec son vieux mouchoir de soie, il s’attaqua énergiquement au rabotage de mon lit tout en ricanant comme un singe. Les copeaux volaient de droite et de gauche, jusqu’à ce qu’enfin la lame vînt buter contre un nœud rébarbatif. Le patron était près de se fouler le poignet et je l’adjurai par tous les grands dieux de renoncer; ce lit était assez doux pour me convenir, et je ne voyais pas très bien comment on eût pu transformer en duvet une planche de pin. De sorte qu’il ramassa les copeaux avec un dernier ricanement, les jeta dans le grand fourneau au milieu de la pièce, puis partit vaquer à ses affaires, m’abandonnant à une sombre méditation.

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