– Pas encore, dit Chick. Pour la quatorzième fois, Chick refaisait le nœud de cravate de Colin, et ça n’allait toujours pas.
– On pourrait essayer avec des gants, dit Colin.
– Pourquoi? demanda Chick. Ça ira mieux?
– Je ne sais pas, dit Colin. C’est une idée sans prétention.
– On a bien fait de s’y prendre en avance, dit Chick!
– Oui, dit Colin. Mais on sera quand même en retard si on n’y arrive pas.
– Oh! dit Chick. On va y arriver. Il réalisa un ensemble de mouvements rapides étroitement associés et tira les deux bouts avec force. La cravate se brisa par le milieu et lui resta dans les doigts.
– C’est la troisième, remarqua Colin, l’air absent.
– Oh! dit Chick. Ça va… Je le sais… Il s’assit sur une chaise et se frotta le menton d’un air absorbé.
– Je ne sais pas ce qu’il y a, dit-il.
– Moi non plus, dit Colin. Mais c’est anormal.
– Oui, dit Chick, nettement. Je vais essayer sans regarder. Il prit une quatrième cravate et l’enroula négligemment autour du cou de Colin, en suivant des yeux le vol d’un brouzillon, d’un air très intéressé. Il passa le gros bout sous le petit, le fit revenir dans la boucle, un tour vers la droite, le repassa dessous, et, par malheur, à ce moment-là, ses yeux tombèrent sur son ouvrage et la cravate se referma brutalement, lui écrasant l’index. Il laissa échapper un gloussement de douleur.
– Bougre de néant! dit-il. La vache!!!
– Elle t’a fait mal? demanda Colin compatissant. Chick se suçait vigoureusement le doigt.
– Je vais avoir l’ongle tout noir, dit-il.
– Mon pauvre vieux! dit Colin. Chick marmonna quelque chose et regarda le cou de Colin.
– Minute!… souffla-t-il. Le nœud est fait!… Bouge pas!… Il recula avec précaution sans le quitter des yeux et saisit sur la table, derrière lui, une bouteille de fixateur à pastel. Il porta lentement à sa bouche l’extrémité du petit tube à vaporiser et se rapprocha sans bruit. Colin chantonnait en regardant ostensiblement le plafond.
Le jet de pulvérin frappa la cravate en plein milieu du nœud. Elle eut un soubresaut rapide et s’immobilisa, clouée à sa place par le durcissement de la résine.
XXI
Colin sortit de chez lui, suivi de Chick. Ils allaient chercher Chloé à pied. Nicolas les rejoindrait directement à l’église. Il surveillait la cuisson d’un plat spécial, découvert dans le Gouffé et dont il attendait merveilles.
Il y avait sur le chemin une librairie devant laquelle Chick tomba en arrêt. Au beau milieu de l’étalage, un exemplaire du
– Oh! dit Chick. Regarde ça!…
– Quoi? dit Colin qui revint en arrière. Ah! Ça?…
– Oui, dit Chick. Il commençait à baver de convoitise. Un petit ruisseau se formait entre
ses pieds et prit le chemin du bord du trottoir, contournant les menues inégalités de la poussière.
– Eh bien? dit Colin. Tu l’as?…
– Pas relié comme ça!… dit Chick.
– Oh! La barbe! dit Colin. Viens, on est pressés.
– Il vaut au moins un ou deux doublezons, dit Chick.
– Certainement, dit Colin qui s’éloigna. Chick fouilla ses poches.
– Colin! appela-t-il… prête-moi un peu d’argent. Colin s’arrêta de nouveau. Il secoua la tête d’un air attristé.
– Je crois, dit-il, que les vingt-cinq mille doublezons que je t’ai promis ne dureront pas longtemps.
Chick rougit, baissa le nez, mais tendit la main. Il prit l’argent et s’élança dans la boutique. Colin attendait, soucieux. En voyant l’air hilare de Chick, il secoua de nouveau la tête, compatissant, cette fois, et un demi-sourire se dessina sur ses lèvres.
– Tu es fou, mon pauvre Chick! Combien l’as-tu payé?
– Ça n’a pas d’importance! dit Chick. Dépêchons-nous. Ils se hâtèrent. Chick semblait monté sur dragons volants. A la porte de Chloé, des gens regardaient la belle voiture blanche
commandée par Colin et qu’on venait de livrer avec le chauffeur de cérémonie. A l’intérieur tout recouvert de fourrure blanche, on était bien au chaud et on entendait de la musique.
Le ciel restait bleu, les nuages légers et vagues. Il faisait froid sans exagération. L’hiver tirait à sa fin.
Le plancher de l’ascenseur se gonfla sous leurs pieds, et, dans un gros spasme mou, les déposa à l’étage. La porte s’ouvrit devant eux. Ils sonnèrent. On vint ouvrir. Chloé les attendait.
Outre son soutien-gorge de cellophane, sa petite culotte blanche et ses bas, elle avait deux épaisseurs de mousseline sur le corps, et un grand voile de tulle qui partait des épaules, laissant la tête entièrement libre.
Alise et Isis étaient habillées de la même façon, mais leurs robes étaient couleur d’eau. Leurs cheveux frisés brillaient dans le soleil et s’arrondissaient sur leurs épaules en masses lourdes et odorantes. On ne savait laquelle choisir. Colin savait. Il n’osa pas embrasser Chloé pour ne pas troubler l’harmonie de sa toilette et se rattrapa avec Isis et Alise. Elles se laissèrent faire de bon gré, voyant comme il était heureux.