– Ça ne fait rien, dit Chloé. Vous n’allez pas épiloguer sur ce ventre. Il est bien trop gros, d’ailleurs…
– C’est qu’il savait faire la cuisine!…
– Allons-nous-en, dit Chloé. Je ne veux plus voir de vitrines, ça me déplaît.
– Qu’est-ce qu’on va faire? dit Colin. On va prendre le thé quelque part?
– Oh! Ce n’est pas l’heure… et puis, je n’aime pas beaucoup ça. Colin respira, soulagé, et ses bretelles craquèrent. Qu’est-ce qui a fait ce bruit?
– J’ai marché sur une branche morte, expliqua Colin en rougissant.
– Si nous allions nous promener au Bois? dit Chloé. Colin la regarde, ravi.
– C’est une très bonne idée. Il n’y aura personne. Chloé rougit.
– Ce n’est pas pour ça. D’ailleurs, ajouta-t-elle pour se venger, nous ne quitterons pas les grandes allées, autrement, on se mouille les pieds.
Il serra un peu le bras qu’il sentait sous le sien.
– On va prendre le souterrain, dit-il.
Le souterrain était bordé des deux côtés par une rangée de volières de grandes dimensions, où les Arrangeurs Urbains entreposaient les p igeons-de-rechange pour les Squares et les Monuments. Il y avait aussi des Pépinières de moineaux et des pépiements de petits moineaux. Les gens ne descendaient pas souvent dedans parce que les ailes de tous ces oiseaux faisaient un courant d’air terrible où volaient de minuscules plumes blanches et bleues.
– Ils ne s’arrêtent jamais de remuer? dit Chloé en assujettissant sa toque pour éviter qu’elle ne s’envole.
– Ce ne sont pas les mêmes tout le temps, dit Colin.
Il luttait avec les pans de son pardessus.
– Dépêchons-nous de dépasser les pigeons. Les moineaux font moins de vent, dit Chloé en se serrant contre Colin.
Ils se hâtèrent et sortirent de la zone dangereuse. Le petit nuage ne les avait pas suivis. Il s’était acheminé par le raccourci et les attendait déjà à l’autre extrémité.
XIV
Le banc paraissait un peu humide et vert foncé. Malgré tout, cette allée n’était pas très fréquentée et ils n’étaient pas mal.
– Vous n’avez pas froid? demanda Colin.
– Non, avec ce nuage, dit Chloé. Mais… Je veux bien me rapprocher tout de même.
– Oh!… dit Colin et il rougit.
Ça lui fit une drôle de sensation. Il mit son bras autour de la taille de Chloé. Sa toque était inclinée de l’autre côté et il avait, tout près des lèvres, un flot de cheveux lustrés.
– J’aime être avec vous, dit-il.
Chloé ne dit rien. Elle respira un peu plus vite et se rapprocha insensiblement.
Colin lui parlait presque à l’oreille.
– Vous ne vous ennuyez pas? demanda-t-il.
Elle fit non de la tête, et Colin put se rapprocher encore à la faveur du mouvement.
– Je… dit-il tout contre son oreille, et, à ce moment, comme par erreur, elle tourna la tête et Colin lui embrassait les lèvres. Ça ne dura pas très longtemps; mais, la fois d’après, c’était beaucoup mieux. Alors, il fourra sa figure dans les cheveux de Chloé, et ils restèrent là, sans rien dire.
XV
– Vous êtes gentille d’être venue, Alise, dit Colin. Pourtant, vous serez la seule fille…
– Ça ne fait rien, dit Alise. Chick est d’accord.
Chick approuva. Mais, à vrai dire, la voix d’Alise n’était pas entièrement gaie.
– Chloé n’est pas à Paris, dit Colin. Elle est partie trois semaines avec des relatifs dans le Midi.
– Ah! dit Chick, tu dois être très malheureux.
– Je n’ai jamais été plus heureux! dit Colin. Je voulais vous annoncer mes fiançailles avec elle…
– Je te félicite, dit Chick.
Il évitait de regarder Alise.
– Qu’est-ce qu’il y a vous deux? dit Colin. Ça n’a pas l’air de carburer fort.
– Il n’y a rien, dit Alise. C’est Chick qui est bête.
– Mais non, dit Chick. Ne l’écoute pas, Colin… Il n’y a rien.
– Vous dites la même chose, et vous n’êtes p as d’accord, dit Colin, donc, il y en a un des deux qui ment, ou bien tous les deux. Venez, on va dîner tout de suite.
Ils passèrent dans la salle à manger.
– Asseyez-vous, Alise, dit Colin. Venez à côté de moi, vous allez me dire ce qu’il y a.
– Chick est bête, dit Alise. Il dit qu’il a tort de me garder avec lui puisqu’il n’a pas d’argent pour me faire vivre bien, et il a honte de ne pas m’épouser.
– Je suis un salaud, dit Chick.
– Je ne sais pas quoi vous dire, dit Colin. Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine.
– Ce n’est p as surtout l’argent, dit Chick. C’est que les parents d’Alise ne voudront jamais que je l’épouse, et ils auront raison. Il y a une histoire comme ça dans un des livres de Partre.
– C’est un livre excellent, dit Alise. Vous ne l’avez pas lu, Colin?
– Voilà comme vous êtes, dit Colin. Je suis sûr que tout votre argent continue à y passer.
Chick et Alise baissèrent le nez.
– C’est ma faute, dit Chick. Alise ne dépense plus rien pour Partre. Elle ne s’en occupe presque plus depuis qu’elle vit avec moi.
Sa voix contenait un reproche.
– Je t’aime mieux que Partre, dit Alise.
Elle allait presque pleurer.
– Tu es gentille, dit Chick. Je ne te mérite pas. Mais c’est mon vice, collectionner Partre, et, malheureusement, un ingénieur ne peut pas se permettre d’avoir tout.