Читаем Le Serment des limbes полностью

Je baissai à nouveau les yeux sur les gros plans, me forçant à les détailler. Chairs boursouflées par les gaz. Plaies crevées pleines de mouches. Vers blancs suçant les muscles roses… Malgré le froid, je transpirais à grosses gouttes. Je demandai :

— Vous avez noté d’autres traces de violences ?

— Vous n’avez pas votre compte ?

— Je parle d’un autre type de violences. Des signes de coups, de brutalités commises lors de l’enlèvement par exemple.

— Il y a la marque des liens, bien sûr, mais surtout les morsures.

— Des morsures ?

Le médecin hésita. J’essuyai la sueur qui piquait mes paupières.

— Ni humaines, ni animales. D’après mes observations, la « chose » qui lui a fait ça dispose de très nombreuses dents. Des crocs plutôt, désordonnés, inversés. Comme si… Comme si ces dents n’étaient pas plantées dans le même sens. Une espèce de mâchoire surgie du chaos.

Une image jaillit dans ma tête. Pazuzu, le démon assyrien de l’iconographie de Luc. La créature à queue de scorpion s’agitant dans la salle d’opération, sa gueule de chauve-souris penchée sur le corps. J’entendais son grognement rauque. Les bruits de succion, de chairs déchirées. Le diable. Le diable incarné, en flagrant délit de meurtre…

Valleret vint à mon secours :

— Tout ce que je peux imaginer, c’est un gourdin tapissé de dents d’animal. Hyène ou fauve. En tout cas une arme dotée d’un manche. Il aurait frappé avec ça le corps de Sylvie Simonis en différents endroits — bras, gorge, flancs. Mais il y a le problème des marques de mâchoires, bien ajustées. Et pourquoi cette torture spécifique ? Ça ne colle pas avec le reste. Je… (Il m’observa tout à coup.) Ça va, mon vieux ? Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.

— Ça va.

— Vous voulez qu’on aille boire un café ?

— Non. Vraiment, merci. J’enchaînai sur des questions de flic, bien terre à terre, pour retrouver mon sang-froid :

— Autour du corps, on a relevé des traces ?

— Non. On a dû déposer le corps dans la nuit mais la pluie matinale a tout effacé.

— Vous savez où est située la scène de crime, par rapport au monastère ?

— J’ai vu des photos, oui. En haut d’une falaise, au-dessus de l’abbaye. Le corps surplombait le cloître, comme un affront. Une provocation.

— On m’a parlé d’un crime sataniste. Y avait-il des signes, des symboles sur le corps ou autour de lui ?

— Je ne suis pas au courant.

— Sur le tueur lui-même, qu’est-ce que vous pouvez me dire ?

— Techniquement, son profil est précis. Un chimiste. Un botaniste. Un entomologiste. Il connaît bien le corps humain. Peut-être même un médecin légiste ! C’est un embaumeur. Mais un embaumeur à l’envers. Il ne préserve pas. Il accélère la décomposition. Il l’orchestre, joue avec… C’est un artiste. Et un homme qui prépare son coup depuis des années.

— Vous avez dit tout ça aux gendarmes ?

— Bien sûr.

— Ils ont avancé sur des pistes précises ?

— Je n’ai pas l’impression qu’ils fassent des étincelles. Mais la juge et le capitaine de gendarmerie jouent la discrétion totale. Peut-être tiennent-ils quelque chose…

Je revis Corine Magnan avec son baume du tigre et le capitaine Sarrazin, avalant ses mots. Que pouvaient-ils faire contre un tel crime ? Je pris une autre direction :

— Voyez-vous un lien avec le meurtre de la fille Simonis, en 1988 ?

— Je ne connais pas très bien la première affaire. Mais il n’y a aucun point commun. La petite Manon a été noyée dans un puits. C’est horrible, mais rien à voir avec le raffinement de l’exécution de Sylvie.

— Pourquoi « exécution » ?

Il haussa les épaules sans répondre. Durant son exposé, il avait monté le ton et gagné une certaine assurance. Maintenant, il reprenait sa position voûtée. Il se glissait à nouveau dans sa peau d’épave oubliée. J’insistai :

— Quel but poursuit-il à votre avis ?

Il y eut un long silence. Valleret cherchait ses mots :

— C’est un prince des ténèbres. Un orfèvre du mal, qui agit pour l’amour du raffinement. Je ne suis pas sûr qu’il éprouve une quelconque jouissance. D’ordre sexuel, je veux dire. Je vous le répète : un artiste. Avec des pulsions… abstraites.

Je n’obtiendrais rien de plus. En conclusion, je demandai :

— Auriez-vous une copie de votre rapport d’autopsie ?

— Attendez-moi là.

— Avez-vous conservé aussi des échantillons du lichen ?

— J’en ai plusieurs, oui. Sous vide.

Il disparut par les portes battantes. Quelques secondes plus tard, il me fourrait entre les mains un dossier de toile écrue.

— La totale, dit-il. Mon rapport, les constates des gendarmes, les photos prises sur place, le bulletin météo, tout. J’ai ajouté aussi deux sachets de lichen.

— Merci.

— Ne me remerciez pas. Je vous refile le bébé, mon vieux. Un cadeau empoisonné. Pendant des années, j’ai été obsédé par l’accident qui a brisé ma vie, en bloc opératoire. Depuis cette autopsie, je n’entends plus que les hurlements de la femme rongée par les vers. (Il eut un sourire amer.) Un clou chasse l’autre, quelle que soit la pourriture de la planche.

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