L’autre grimaça sous l’effort de la réflexion. Janusz, de son côté, faisait les comptes. Deux cadavres dans son sillage. L’un à Marseille, l’autre à Bordeaux. Les présomptions se resserraient. Il agita la tête dans le vent gris.
— Alors, ce meurtre ?
— On a retrouvé l’gars dans la calanque de Sormiou. À douze bornes d’ici, à vol d’oiseau. Le corps était nu et brûlé. On a dit qu’il avait été rapporté par le courant, mais moi, je dis : c’est des conneries. On l’a placé là et basta.
— Comment sait-on que c’est un meurtre ?
— Y avait une mise en scène.
— Quel genre ?
Shampooing éclata de rire :
— Le mec, il avait des ailes !
— Quoi ?
— J’te jure. Des ailes brûlées dans le dos. Les journalistes, y z’ont parlé d’un mec qui faisait du deltaplane et qui se s’rait cassé la gueule dans la mer. Mais ils y connaissent que dalle. Pourquoi qu’il aurait cramé ? Pourquoi qu’il serait à poil ?
Janusz n’écoutait plus. L’assassin de l’Olympe. Le nom déchira son esprit, un éclair sur un ciel noir. Avant le Minotaure à Bordeaux, on avait tué Icare à Marseille.
— Tète un coup, fit Shampooing en tendant le cubi. T’es tout blanc.
— Ça ira, merci.
— T’essaies de décrocher ou quoi ?
Janusz se retourna vers son acolyte :
— Comment tu sais tout ça, toi ?
Shampooing sourit et suça encore le goulot :
— J’ai mes connexions.
Janusz l’empoigna par le col et l’attira violemment à lui. Le cubi roula sur la rampe inclinée du port.
— Quelles connexions ?
— Holà, on s’calme ! J’connais un mec, c’est tout. Claudie. Il a arrêté la cloche. Il a trouvé du boulot.
— Il est flic ?
Shampooing se libéra et marcha à quatre pattes en direction du bidon de vinasse. Il l’attrapa juste avant que l’objet touche les flots sombres.
— Presque, fit-il en revenant sur ses pas. Y bosse à la morgue de La Timone. Y pousse les cadavres sur leurs chariots. C’est lui qui m’a raconté tout ça. Il a entendu les flics qui… Qu’est-ce que tu fous ?
Janusz était debout.
— On y va.
50
CLAUDIE ressemblait à la Chose.
Le colosse de pierre des
Chauve, carré, taciturne, il fumait une cigarette dans la cour de la morgue, vêtu d’une blouse blanche. Janusz et Shampooing s’approchèrent avec prudence, à bout de souffle. Ils venaient de traverser le campus de l’hôpital de La Timone puis de monter un escalier pour accéder à la terrasse où était installé l’institut médico-légal. Le soleil était de retour : ils suaient comme du beurre sous leurs pelures.
Contre toute attente, le lieu rappelait un décor japonais. Le bâtiment plat, sans étage, était doté d’un portail aux angles retroussés, façon pagode. Ses murs étaient cernés par des arbres feuillus qui ressemblaient à des bambous. Des oiseaux pépiaient quelque part, invisibles, comme dans un jardin zen.
— Salut, Claudie !
— Qu’est-ce que tu fous là ? cracha l’autre sans enthousiasme.
— Je te présente Jeannot. Il a des questions à te poser.
Claudie examina Janusz. Il mesurait plus de 1,90 mètre. La cigarette dans sa main ressemblait à un pétard planté dans un rocher. La fumée lui sortait des narines comme d’un cratère de volcan.
— Des questions à quel sujet ?
Janusz fit un pas en avant :
— Demande-moi plutôt combien je suis prêt à payer.
La gueule de pierre sourit. Ses lèvres épaisses avaient un petit côté boudeur :
— Tout dépend de ce que j’ai à vendre.
— Ce que tu sais sur le cadavre de l’homme-oiseau, découvert dans la calanque de Sormiou.
Claudie considéra l’extrémité de sa cigarette. L’air boudeur, puissance dix.
— Trop cher pour toi, mon gars.
— 100 euros.
— 200.
— 150.
Janusz fouilla dans sa poche et plaça les biffetons dans la main géante. Il n’avait pas le temps pour un marchandage à rallonge. Shampooing ouvrait des yeux ronds face aux billets. La Chose empocha la thune.
— Le cadavre a été découvert au milieu du mois de décembre, dans la calanque de Sormiou.
— Quel jour exactement ?
— Si tu veux des dates précises, demande aux flics.
— Comment s’appelait la victime ?
— Un nom de l’Est. Tzevan quelque chose. Un zonard d’une vingtaine d’années, qui frayait à Marseille depuis plusieurs mois. Les flics l’ont identifié grâce à ses empreintes. Il avait déjà eu des emmerdes avec les condés.
Janusz s’arrêta sur le détail des sillons digitaux :
— Le cadavre était brûlé, non ?
— Pas assez pour qu’on puisse pas relever ses empreintes.
— Où le corps a-t-il été découvert exactement ?
— À la pointe de la calanque. Juste en face de l’île Casereigne.
— Qu’est-ce que tu sais sur les circonstances de sa découverte ?
— Deux randonneurs sont tombés dessus. Il était nu, cramé, avec des ailes dans le dos. Dans la presse, on a dit que le mec s’était noyé et que le ressac l’avait ramené sur les côtes. Des conneries. Le gamin n’avait pas une goutte d’eau dans les poumons.
— Tu as assisté à l’autopsie ?
— C’est pas mon boulot mais j’ai entendu le légiste causer avec les keufs.
— De quoi le type est-il mort ?
— J’ai pas tout entendu. Ils ont parlé d’overdose.