Читаем Le passager полностью

Il avait appelé Yussef à 13 heures, le Bosniaque lui avait donné rendez-vous devant ce foyer où s’agglutinaient hommes, femmes et familles entières en mal de toits et de papiers. La clientèle du Bosniaque.

Amar tendit le bras entre les deux sièges et rendit les passeports à Yussef :

— Nickel, admit-il.

Les commissures des lèvres de Yussef, tracées au cutter, s’étirèrent en un sourire :

— T’as pas perdu la main.

— Demain matin, la suite.

— On parle plus d’argent sur ce coup ? t’es d’accord ?

— C’est déjà beau de ne pas avoir perdu quelques doigts dans la bataille.

Yussef comptait ses passeports comme s’il s’agissait d’un jeu de cartes.

— Nono, toujours plus malin que les autres.

Chaplain était fasciné par ce jeune homme qui ne pesait rien et dégageait une autorité de général. Il flottait dans un pull commando de l’armée britannique, vert olive, avec des renforts de tissu aux coudes et aux épaules. La Mercedes était son blindé.

— J’ai tout de même une faveur à te demander.

— Bien sûr, fit l’autre en fixant les fantômes du dehors.

— J’ai besoin d’un calibre.

— Ça va te coûter cher.

— Des cartes de séjour pour tout un cargo, si tu veux.

— Pourquoi un calibre ?

— Raisons personnelles.

Yussef conserva le silence. Il observait toujours les illégaux qui s’enfonçaient dans leur propre ombre, le long de la façade lépreuse. Enfin, il fit un signe à Amar qui sortit de la voiture. Son impression se confirma : le Bosniaque l’avait à la bonne — et cela avait toujours été le cas.

Le coffre s’ouvrit. La scène avait un caractère surréaliste. Ce bunker de carbone et de bois verni, les sans-papiers qui battaient le pavé dehors, les ressources de la Merco qui faisait à la fois office de bureau administratif, d’arsenal, de banque et de coffre-fort.

— Je t’ai dit que j’avais des problèmes de mémoire ?

— Complètement à la masse, ouais.

— Je me souviens pas de la manière dont on s’est rencontrés.

Yussef hocha la tête, à coups de petits déclics. Le trouble de Nono l’amusait.

— Croisé toi à Stalingrad, en mars dernier. Tu dessinais sur le sol avec craie. Tu vivais avec les trois kopecks que les passants filaient à toi. T’avais la tête vide. Impossible de savoir nom à toi, origine.

— Pourquoi tu m’as aidé ?

— À cause de tes dessins. Ça m’a rappelé les stecci, des tombes anciennes qu’on trouve au pays.

Amar était de retour. Un pistolet se matérialisa dans sa paume, qu’il braqua au-dessus du levier de vitesse, crosse la première.

— Un CZ 75, fit Yussef. Ces enfoirés de Tchèques, ils font du bon boulot.

Le calibre était différent du Glock. Il ne s’attarda pas dessus et le fourra dans sa poche. Sans enthousiasme, Amar lui donna trois chargeurs.

Il allait dire merci quand Yussef poursuivit, les pupilles toujours fixées sur les sans-papiers :

— On t’a recueilli, mon pote. On t’a lavé, on t’a nourri, on t’a logé. T’avais toujours la tête vide mais tu savais dessiner. J’ai foutu toi dans les pattes de mes faussaires.

— Tu en as d’autres ?

— Qu’est-ce que tu crois ? Que j’ai attendu toi pour enrichir l’état civil français ?

— J’ai accepté ?

— Tu t’es mis au boulot, glupo. En deux semaines, t’enterrais tout le monde. Le don, l’instinct. Encres, techniques d’impression, tampons… (Il énumérait avec ses doigts.) Pigé tout. Un mois plus tard, t’as encaissé premiers paiements. Créé ton labo en solo. Un autre que toi, j’aurais arraché les couilles. Toi, j’ai fait confiance. Toujours le boulot à l’heure.

Nono avait donc duré plus longtemps que les autres. De mars à septembre 2009. Il avait eu le temps de s’installer, de gagner sa légitimité, d’obtenir un statut officiel — il avait pu louer l’atelier, obtenir un compte en banque, payer ses abonnements. Tout était basé sur des faux papiers.

— Et je ne t’ai jamais dit mon nom ?

— Au bout d’un certain temps, t’as commencé à dire que tu t’appelais Nono. Tu venais du Havre, t’avais été imprimeur. Des conneries. L’important, tes livraisons. Pour ça, jamais de problèmes. Jusqu’au jour où t’as disparu.

Il eut un rire bref et empoigna la nuque de Chaplain :

— Mon salaud !

Chaplain saisissait mieux la nature du miracle Mathias Freire. Il avait dû se fabriquer des papiers à ce nom… Cela signifiait qu’il s’était toujours baladé avec ces documents, du temps de Narcisse ? de Victor Janusz ? Non. Il pensait plutôt que son don lui était revenu au bout des doigts quand il s’était retrouvé de nouveau au fond du néant. Il avait inventé Mathias Freire. Il s’était fabriqué des papiers et avait trouvé le poste à Pierre-Janet.

Yussef claqua des doigts. Deux verres se matérialisèrent sur l’accoudoir qui les séparait. Ils paraissaient aussi petits que des balles de fusil.

Amar se pencha entre les deux sièges, une bouteille à la main. Yussef brandit son « shot ».

— Zxivjeli !

Chaplain but sa vodka cul sec. Le breuvage était aussi épais que du vernis. Il toussa violemment. L’alcool lui brûla la gorge, chauffa ses pectoraux, puis engourdit ses membres.

Yussef éclata de son rire trop court, aussitôt mangé par ses lèvres de Joker.

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