Читаем La vie devant soi полностью

Quand je suis arrivé, j'ai vu une ambulance devant la maison et j'ai cru que c'était foutu et que j'avais plus personne mais c'était pas pour Madame Rosa, c'était pour quelqu'un qui était déjà mort. J'ai eu un tel soulagement que j'aurais chialé si j'avais pas quatre ans de plus. J'avais déjà cru qu'il ne me restait rien. C'est le corps de Monsieur Bouaffa. Monsieur Bouaffa, vous savez, celui dont je ne vous ai pas parlé parce qu'il n'y avait rien à en dire, c'était quelqu'un qui se voyait peu. Il avait eu un truc au cœur et Monsieur Zaoum l'aîné, qui était dehors, m'a dit que personne n'avait remarqué qu'il était mort, il ne recevait jamais de courrier. J'ai jamais été aussi content de le voir mort, je dis pas ça contre lui, bien sûr, je dis ça pour Madame Rosa, ça faisait autant de moins pour elle.

Je suis vite monté, la porte était ouverte, les amis de Monsieur Waloumba étaient partis niais ils avaient laissé de la lumière pour que Madame Rosa se voie. Elle était répandue dans son fauteuil et vous pouvez vous imaginer le plaisir que j'ai eu quand j'ai vu qu'elle avait des larmes qui coulaient parce que ça prouvait qu'elle était vivante. Elle était même un peu secouée de l'intérieur comme chez les personnes qui ont des sanglots.

– Momo… Momo… Momo… c'était tout ce qu'elle avait moyen de dire mais ça m'a suffi.

J'ai couru l'embrasser. Elle sentait pas bon parce qu'elle avait chié et pissé sous elle pour des raisons d'état. Je l'ai embrassée encore plus parce que je ne voulais pas qu'elle s'imagine qu'elle me dégoûtait.

– Momo… Momo…

– Oui, Madame Rosa, c'est moi, vous pouvez compter dessus.

– Momo… J'ai entendu… Ils ont appelé une ambulance… Ils vont venir…

– C'est pas pour vous, Madame Rosa, c'est pour Monsieur Bouaffa qui est déjà mort.

– J'ai peur…

– Je sais. Madame Rosa, ça prouve que vous êtes bien vivante.

– L'ambulance…

Elle avait du mal à parler car les mots ont besoin de muscles pour sortir et chez elle les muscles étaient tout avachis.

– C'est pas pour vous. Vous, ils savent même pas que vous êtes là, je vous le jure sur le Prophète. Khaïrem.

– Ils vont venir, Momo…

– Pas maintenant, Madame Rosa. On vous a pas dénoncée. Vous êtes bien vivante, même que vous avez chié et pissé sous vous, il n'y a que les vivants qui font ça.

Elle a paru un peu rassurée. Je regardais ses yeux, pour ne pas voir le reste. Vous n'allez pas me croire, mais elle avait des yeux de toute beauté, cette vieille Juive. C'est comme les tapis de Monsieur Hamil, quand il disait: «J'ai là des tapis de toute beauté.» Monsieur Hamil croit qu'il n'y a rien de plus beau au monde qu'un beau tapis et que même Allah était assis dessus. Si vous voulez mon avis, Allah est assis sur des tas de trucs.

– C'est vrai que ça pue.

– Ça prouve que ça fonctionne encore à l'intérieur.

– Inch'Allah, dit Madame Rosa. Je vais bientôt mourir.

– Inch'Allah, Madame Rosa.

– Je suis contente de mourir, Momo.

– Nous sommes tous contents pour vous. Madame Rosa. Vous n'avez que des amis, ici. Tout le monde vous veut du bien.

– Mais il ne faut pas les laisser m'emmener à l'hôpital, Momo. A aucun prix, il ne faut pas,

– Vous pouvez être tranquille. Madame Rosa.

– Ils vont me faire vivre de force, à l'hôpital, Momo. Ils ont des lois pour ça. C'est des vraies lois de Nuremberg. Tu ne connais pas ça, tu es trop jeune.

– J'ai jamais été trop jeune pour rien, Madame Rosa.

– Le docteur Katz va me dénoncer à l'hôpital et ils vont venir me chercher.

J'ai rien dit. Si les Juifs commençaient à se dénoncer entre eux, moi j'allais pas m'en mêler. Moi les Juifs je les emmerde, c'est des gens comme tout le monde.

– Ils vont pas me faire avorter à l'hôpital. Je disais toujours rien. Je lui tenais la main.

Comme ça, au moins, je mentais pas.

– Combien de temps ils l'ont fait souffrir, ce champion du monde en Amérique, Momo?

J'ai fait le con.

– Quel champion?

– En Amérique? Je t'ai entendu, tu en parlais avec Monsieur Waloumba.

Merde.

– Madame Rosa, en Amérique, ils ont tous les records du monde, c'est des grands sportifs. En France, à l'Olympique de Marseille, il y a que des étrangers. Ils ont même des Brésiliens et n'importe quoi. Ils vont pas vous prendre. A l'hôpital, je veux dire.

– Tu me jures…

– L'hôpital, tant que je suis là, c'est zobbi, Madame Rosa.

Elle a presque souri. De vous à moi, quand elle sourit, ça la fait pas plus belle, au contraire, parce que ça souligne tout le reste autour. Ce sont surtout les cheveux qui lui manquent. Il lui restait encore trente-deux cheveux sur la tête, comme la dernière fois.

– Madame Rosa, pourquoi vous m'avez menti?

Elle parut sincèrement étonnée.

– Moi? Je t'ai menti?

– Pourquoi vous m'avez dit que j'avais dix ans alors que j'en ai quatorze?

Vous allez pas me croire, mais elle a rougi un peu,

– J'avais peur que tu me quittes, Momo, alors je t'ai un peu diminué. Tu as toujours été mon petit homme. J'en ai jamais vraiment aimé un autre. Alors, je comptais les années et j'avais peur. Je ne voulais pas que tu deviennes grand trop vite. Excuse-moi.

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