Читаем La vie devant soi полностью

Il gardait toujours sa main sur le Livre de Monsieur Victor Hugo et il regardait très loin, très loin au-delà, comme s’il cherchait ce qu’il aurait à dîner ce soir.

– Monsieur Hamil, est-ce qu’on peut vivre sans quelqu’un à aimer ?

– J’aime beaucoup le couscous, mon petit Victor, mais pas tous les jours.

– Vous ne m’avez pas entendu, Monsieur Hamil. Vous m’avez dit quand j’étais petit qu’on ne peut pas vivre sans amour.

Son visage s’est éclairé de l’intérieur.

– Oui, oui, c’est vrai, j’ai aimé quelqu’un quand j’étais jeune, moi aussi. Oui, tu as raison, mon petit…

– Mohammed. C’est pas Victor.

– Oui, mon petit Mohammed. Quand j’étais jeune, j’ai aimé quelqu’un. J’ai aimé une femme. Elle s’appelait…

Il se tut et parut étonné.

– Je ne me souviens plus.

Je me suis levé et je suis retourné dans la cave.

Madame Rosa était dans son état d’habitude. Oui, d’hébétude, merci, je m’en souviendrai la prochaine fois. J’ai pris quatre ans d’un coup et c’est pas facile. Un jour, je parlerai sûrement comme tout le monde, c’est fait pour ça. Je ne me sentais pas bien et j’avais mal un peu partout. Je lui ai encore mis le portrait de Monsieur Hitler devant les yeux mais ça ne lui a rien fait du tout. Je pensais qu’elle pourrait vivre ainsi encore des années et je ne voulais pas lui faire ça, mais je n’avais pas le courage de l’avorter moi-même. Elle n’avait pas bonne mine même dans l’obscurité et j’ai allumé toutes les bougies que je pouvais, pour la compagnie. J’ai pris son maquillage et je lui en ai mis sur les lèvres et les joues et je lui ai peint les sourcils comme elle l’aimait. Je lui ai peint les paupières en bleu et blanc et je lui ai collé des petites étoiles dessus comme elle le faisait elle-même. J’ai essayé de lui coller des faux cils mais ça tenait pas. Je voyais bien qu’elle ne respirait plus mais ça m’était égal, je l’aimais même sans respirer. Je me suis mis à côté d’elle sur le matelas avec mon parapluie Arthur et j’ai essayé de me sentir encore plus mal pour mourir tout à fait. Quand ça s’est éteint autour de moi, j’ai allumé encore des bougies et encore et encore. Ça s’est éteint comme ça plusieurs fois. Puis il y a eu le clown bleu qui est venu me voir malgré les quatre ans de plus que j’avais pris et il m’a mis son bras autour des épaules. J’avais mal partout et le clown jaune est venu aussi et j’ai laissé tomber les quatre ans que j’avais gagnés, je m’en foutais. Parfois je me levais et j’allais mettre le portrait de Monsieur Hitler sous les yeux de Madame Rosa mais ça ne lui faisait rien, elle n’était plus avec nous. Je l’ai embrassée une ou deux fois mais ça sert à rien non plus. Son visage était froid. Elle était très belle avec son kimono artistique, sa perruque rousse et tout le maquillage que je lui avais mis sur la figure. Je lui en ai remis un peu ici et là parce que ça devenait un peu gris et bleu chez elle, chaque fois que je me réveillais. J’ai dormi sur le matelas à côté d’elle et j’avais peur d’aller dehors parce qu’il n’y avait personne. Je suis quand même monté chez Madame Lola car elle était quelqu’un de différent. Elle n’était pas là, ce n’était pas la bonne heure. J’avais peur de laisser Madame Rosa seule, elle pouvait se réveiller et croire qu’elle était morte en voyant partout le noir. Je suis redescendu et j’ai allumé une bougie mais pas trop parce que ça ne lui aurait pas plu d’être vue dans son état. J’ai dû encore la maquiller avec beaucoup de rouge et des jolies couleurs pour qu’elle se voie moins. J’ai dormi encore à côté d’elle et puis je suis remonté chez Madame Lola qui était comme rien et personne. Elle était en train de se raser, elle avait mis de la musique et des œufs au plat qui sentaient bon. Elle était à moitié nue et elle se frottait partout vigoureusement pour effacer les traces de son travail et quand elle était à poil avec son rasoir et sa mousse à barbe, elle ressemblait à rien de connu, et ça m’a fait du bien. Lorsqu’elle m’a ouvert la porte, elle est restée sans paroles tellement j’avais dû changer depuis quatre ans.

– Mon Dieu, Momo ! Qu’est-ce qu’il y a, tu es malade ?

– Je voulais vous dire adieu pour Madame Rosa.

– Ils l’ont emmenée à l’hôpital ?

Je me suis assis parce que je n’avais plus la force. Je n’avais plus mangé depuis je ne sais quand pour faire la grève de la faim. Moi les lois de la nature, j’ai rien à en foutre. Je veux même pas les savoir.

– Non, pas à l’hôpital. Madame Rosa est dans son trou juif.

J’aurais pas dû dire ça, mais j’ai tout de suite vu que Madame Lola ne savait pas où c’était.

– Quoi ?

– Elle est partie en Israël.

Madame Lola s’était tellement inattendue qu’elle en est restée la bouche ouverte au milieu de la mousse.

– Mais elle ne m’a jamais dit qu’elle allait partir !

– Ils sont venus la chercher en avion.

– Qui ?

– La famille. Elle avait plein de famille là-bas. Ils sont venus la chercher en avion avec une voiture à sa disposition. Une Jaguar.

– Et elle t’a laissé seul ?

– Je vais partir là-bas aussi, elle me fait venir.

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