Читаем La vie devant soi полностью

Quand on y est arrivé, Madame Rosa s’est écroulée dans le fauteuil et j’ai cru qu’elle allait mourir. Elle avait fermé les yeux et n’avait plus assez de respiration pour soulever sa poitrine. J’ai allumé les bougies, je me suis assis par terre à côté d’elle et je lui ai tenu la main. Ça l’a améliorée un peu, elle a ouvert les yeux, elle a regardé autour d’elle et elle a dit :

– Je savais bien que j’allais en avoir besoin, un jour, Momo. Maintenant, je vais mourir tranquille.

Elle m’a même souri.

– Je ne vais pas battre le record du monde des légumes.

– Inch’Allah.

– Oui, inch’Allah, Momo. Tu es un bon petit. On a toujours été bien ensemble.

– C’est ça, Madame Rosa, et c’est quand même mieux que personne.

– Maintenant, fais-moi dire ma prière, Momo. Je pourrai peut-être plus jamais.

– Shma israël adenoi…

Elle a tout répété avec moi jusqu’à loeïlem boët et elle a paru contente. Elle a eu encore une bonne heure mais après elle s’est encore détériorée. La nuit elle marmonnait en polonais à cause de son enfance là-bas et elle s’est mise à répéter le nom d’un mec qui s’appelait Blumentag et qu’elle avait peut-être connu comme proxynète quand elle était femme. Je sais maintenant que ça se dit proxénète mais j’ai pris l’habitude. Après elle a plus rien dit du tout et elle est restée là avec un air vide à regarder le mur en face et à chier et pisser sous elle.

Moi il y a une chose que je vais vous dire : ça devrait pas exister. Je le dis comme je le pense. Je comprendrai jamais pourquoi l’avortement, c’est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. Moi je trouve que le type en Amérique qui a battu le record du monde comme légume, c’est encore pire que Jésus parce qu’il est resté sur sa croix dix-sept ans et des poussières. Moi je trouve qu’il n’y a pas plus dégueulasse que d’enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se défendre et qui ne veulent plus servir.

Il y avait beaucoup de bougies et j’en ai allumé un tas pour avoir moins noir. Elle a encore murmuré Blumentag, Blumentag deux fois et je commençais à en avoir marre, j’aurais bien voulu voir son Blumentag se donner autant de mal que moi pour elle. Et puis je me suis rappelé que blumentag ça veut dire jour des fleurs en juif et ça devait être encore un rêve de femme qu’elle faisait. La féminité, c’est plus fort que tout. Elle a dû aller à la campagne une fois, quand elle était jeune, peut-être avec un mec qu’elle aimait, et ça lui est resté.

– Blumentag, Madame Rosa.

Je l’ai laissée là et je suis remonté chercher mon parapluie Arthur parce que j’étais habitué. Je suis remonté encore une fois plus tard pour prendre le portrait de Monsieur Hitler, c’était la seule chose qui lui faisait encore de l’effet.

Je pensais que Madame Rosa n’allait pas rester longtemps dans son trou juif et que Dieu aura pitié d’elle, car lorsqu’on est au bout des forces on a toutes sortes d’idées. Je regardais parfois son beau visage et puis je me suis rappelé que j’ai oublié son maquillage et tout ce qu’elle aimait pour être femme et je suis remonté une troisième fois, même que j’en avais marre, elle était vraiment exigeante, Madame Rosa.

J’ai mis le matelas à côté d’elle pour la compagnie mais j’ai pas pu fermer l’œil parce que j’avais peur des rats qui ont une réputation dans les caves, mais il n’y en avait pas. Je me suis endormi je ne sais pas quand et quand je me suis réveillé il n’y avait presque plus de bougies allumées. Madame Rosa avait les yeux ouverts mais lorsque je lui ai mis le portrait de Monsieur Hitler devant, ça ne l’a pas intéressée. C’était un miracle qu’on a pu descendre dans son état.

Quand je suis sorti, il était midi, je suis resté sur le trottoir et quand on me demandait comment allait Madame Rosa, je disais qu’elle était partie dans son foyer juif en Israël, sa famille était venue la chercher, elle avait là-bas le confort moderne et allait mourir beaucoup plus vite qu’ici où c’était pas une vie pour elle. Peut-être même qu’elle allait vivre un bout de temps encore et qu’elle me ferait venir parce que j’y avais droit, les Arabes y ont droit aussi. Tout le monde était heureux que la Juive avait trouvé la paix. Je suis allé au café de Monsieur Driss qui m’a fait manger à l’œil et je me suis assis en face de Monsieur Hamil qui était là près de la fenêtre, vêtu de son beau burnous gris et blanc. Il n’y voyait plus du tout comme j’ai eu l’honneur, mais quand je lui ai dit mon nom trois fois il s’est tout de suite rappelé.

– Ah mon petit Mohammed, oui, oui, je me souviens… Je le connais bien… Qu’est-ce qu’il est devenu ?

– C’est moi, Monsieur Hamil.

– Ah bon, ah bon, excuse-moi, je n’ai plus mes yeux…

– Comment ça va, Monsieur Hamil ?

– J’ai eu un bon couscous hier à manger et aujourd’hui à midi j’aurai du riz avec du bouillon. Ce soir, je ne sais pas encore ce que j’aurai à manger, je suis très curieux de le savoir.

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