Читаем La vie devant soi полностью

Madame Rosa avait des cheveux gris qui tombaient eux aussi parce qu’ils n’y tenaient plus tellement. Elle avait très peur de devenir chauve, c’est une chose terrible pour une femme qui n’a plus grand-chose d’autre. Elle avait plus de fesses et de seins que n’importe qui et quand elle se regardait dans le miroir elle se faisait de grands sourires, comme si elle cherchait à se plaire. Dimanche elle s’habillait des pieds à la tête, mettait sa perruque rousse et allait s’asseoir dans le square Beaulieu et restait là pendant plusieurs heures avec élégance. Elle se maquillait plusieurs fois par jour mais qu’est-ce que vous voulez y faire. Avec la perruque et le maquillage ça se voyait moins et elle mettait toujours des fleurs dans l’appartement pour que ce soit plus joli autour d’elle.

Quand elle s’est calmée, Madame Rosa m’a traîné au petit endroit et m’a traité de meneur et elle m’a dit que les meneurs étaient toujours punis de prison. Elle m’a expliqué que ma mère voyait tout ce que je faisais et que si je voulais la retrouver un jour, je devais avoir une vie propre et honnête, sans délinquance juvénile. Le petit endroit était encore plus petit que ça et Madame Rosa n’y tenait pas tout entière, à cause de son étendue et c’était même curieux combien il y en avait pour une personne si seule. Je crois qu’elle devait se sentir encore plus seule, là-dedans.

Lorsque les mandats cessaient d’arriver pour l’un d’entre nous, Madame Rosa ne jetait pas le coupable dehors. C’était le cas du petit Banania, son père était inconnu et on ne pouvait rien lui reprocher ; sa mère envoyait un peu d’argent tous les six mois et encore. Madame Rosa engueulait Banania mais celui-ci s’en foutait parce qu’il n’avait que trois ans et des sourires. Je pense que Madame Rosa aurait peut-être donné Banania à l’Assistance mais pas son sourire et comme on ne pouvait pas l’un sans l’autre, elle était obligée de les garder tous les deux. C’est moi qui étais chargé de conduire Banania dans les foyers africains de la rue Bisson pour qu’il voie du noir, Madame Rosa y tenait beaucoup.

– Il faut qu’il voie du noir, sans ça, plus tard, il va pas s’associer.

Je prenais donc Banania et je le conduisais à côté. Il était très bien reçu car ce sont des personnes dont les familles sont restées en Afrique et un enfant, ça fait toujours penser à un autre. Madame Rosa ne savait pas du tout si Banania qui s’appelait Touré était un Malien ou un Sénégalais ou un Guinéen ou autre chose, sa mère se défendait rue Saint-Denis avant de partir en maison à Abidjan et ce sont des choses qu’on ne peut pas savoir dans le métier. Moïse était aussi très irrégulier mais là Madame Rosa était coincée parce que l’Assistance publique ils pouvaient pas se faire ça entre Juifs. Pour moi, le mandat de trois cents francs arrivait chaque début de mois et j’étais inattaquable. Je crois que Moïse avait une mère et qu’elle avait honte, ses parents ne savaient rien et elle était d’une bonne famille et puis Moïse était blond avec des yeux bleus et sans le nez signalétique et c’étaient des aveux spontanés, il n’y avait qu’à le regarder.

Mes trois cents francs par mois rubis sur ongle infligeaient à Madame Rosa du respect à mon égard. J’allais sur mes dix ans, j’avais même des troubles de précocité parce que les Arabes bandent toujours les premiers. Je savais donc que je représentais pour Madame Rosa quelque chose de solide et qu’elle y regarderait à deux fois avant de faire sortir le loup des bois. C’est ce qui s’est passé dans le petit endroit quand j’avais six ans. Vous me direz que je mélange les années, mais ce n’est pas vrai, et je vous expliquerai quand ça me viendra comment j’ai brusquement pris un coup de vieux.

– Écoute, Momo, tu es l’aîné, tu dois donner l’exemple, alors ne nous fais plus le bordel ici avec ta maman. Vos mamans, vous avez la chance de ne pas les connaître, parce qu’à votre âge, il y a encore la sensibilité, et c’est des putains comme c’est pas permis, on croit même rêver, des fois. Tu sais ce que c’est, une putain ?

– C’est des personnes qui se défendent avec leur cul.

– Je me demande où tu as appris des horreurs pareilles, mais il y a beaucoup de vérité dans ce que tu dis.

– Vous aussi, vous vous êtes défendue avec votre cul, Madame Rosa, quand vous étiez jeune et belle ?

Elle a souri, ça lui faisait plaisir d’entendre qu’elle avait été jeune et belle.

– Tu es un bon petit, Momo, mais tiens-toi tranquille. Aide-moi. Je suis vieille et malade. Depuis que je suis sortie d’Auschwitz, je n’ai eu que des ennuis.

Elle était si triste qu’on ne voyait même pas qu’elle était moche. Je lui ai mis les bras autour du cou et je l’ai embrassée. On disait dans la rue que c’était une femme sans cœur et c’est vrai qu’il n’y avait personne pour s’en occuper. Elle avait tenu le coup sans cœur pendant soixante-cinq ans et il y avait des moments où il fallait lui pardonner.

Elle pleurait tellement que j’ai eu envie de pisser.

– Excusez-moi, Madame Rosa, j’ai envie de pisser.

Après, je lui ai dit :

Перейти на страницу:

Похожие книги