Un puits étroit de trentedeux mètres de profondeur conduisait à une autre salle. Après avoir envoyé Miika et deux aides chercher l’appareil gamma pour la radioscopie des armoires, Véda se mit à explorer cette troisième grotte, sans tuf ni coulées d’argile. Les vitrines basses, en verre moulé étaient seulement embuées par l’humidité intérieure. Penchés sur les glaces, les archéologues examinaient les bijoux en or et en platine, sertis de gemmes. Cette collection de reliques devait dater du temps où on avait encore la manie, dérivée du culte des mânes, de préférer l’ancien au nouveau. Véda éprouva, une fois de plus, du dépit devant la suffisance des ancêtres qui croyaient que leurs notions de la valeur et leurs goûts resteraient immuables à travers les siècles et seraient adoptés comme canon par la postérité.
L’extrémité de la grotte se changeait en couloir droit et haut, qui descendait en pente douce à une profondeur inconnue. Les compteurs des chariots indiquaient, au départ du couloir, 304 mètres audessous de la surface de la Terre. De larges fissures partageaient lgs voûtes en énormes plaques calcaires qui devaient peser des milliers de tonnes. Véda se sentit alarmée. L’expérience acquise au cours de l’étude de nombreux souterrains lui disait que la masse rocheuse, au piedde la crête de montagnes, était en équilibre instable. Peut-être avaitelle été déplacée par un séisme ou par l’exhaussement général qui avait surélevé les montagnes d’une cinquantaine de mètres depuis la fondation de ce musée. Une expédition archéologique ordinaire n’était pas en mesure de fixer cette masse formidable. Seuls, des buts importants pour l’économie de la planète auraient justifié de tels efforts.
D’autre part, les trésors historiques recelés dans une grotte aussi profonde pouvaient avoir une valeur technique, comme les inventions oubliées mais utiles au monde actuel.
La prudence recommandait de ne pas pousser l’exploration plus loin. Mais pourquoi le savant ménageraitil sa personne, alors que des millions de gens faisaient des travaux et des essais dangereux, que Dar Véter et ses camarades œuvraient à 57 mille kilomètres au-dessus, de la Terre et qu’Erg Noor se préparait à un voyage sans retour! Ces deux hommes qu’elle tenait en haute estime n’auraient pas reculé… Eh bien, elle ne reculerait pas non plus…
Des piles de rechange, une caméra électronique, deux appareils à oxygène… Elles iraient à deux, Véda et l’intrépide Miika, laissant à leurs camarades le soin d’étudier la troisième salle.
Véda Kong leur conseilla de se restaurer. On sortit les tablettes des voyageurs, comprimés d’albumines facilement assimilables, de sucres et d’antitoxines de la fatigue, mélangés de vitamines, d’hormones et de stimulants du système nerveux. Véda, surexcitée, n’avait pas faim. Miika ne revint qu’au bout de quarante minutes: elle avait, paraîtil, cédé à la tentation de faire la radioscopie de quelques armoires pour avoir une idée de leur contenu.
La descendante des plongeuses japonaises remercia du regard son chef d’équipe et fut prête en un instant.
Les câbles rouges et minces passaient au milieu du couloir. La lumière mauve des couronnes de gaz posées sur la tête des deux femmes ne pouvait percer l’obscurité séculaire de la galerie qui descendait en pente de plus en plus raide. De grosses gouttes froides tombaient de la voûte avec un bruit sourd et régulier. Des ruisseaux murmuraient dans les fissures. L’humidité pénétrante entretenait dans le souterrain une atmosphère de sépulcre. On ne rencontre que dans les grottes ce silence absolu, auquel veille l’écorce terrestre ellemême, insensible, inerte. Là-haut, si profond que soit le silence, on devine toujours une vie cachée, le mouvement de l’eau, de l’air ou de la lumière.
Véda et sa compagne subissaient malgré elles l’emprise de la caverne qui les avait englouties, comme la tombe d’un passé mort qui ne revit que dans l’imagination.