Louma Lasvi, le médecin, entra doucement et devina une présence dans le local silencieux. Ecartant avec précaution le rideau, elle vit le chef agenouillé, tel un monument aux millions d’hommes qui pleurent leurs bienaimées. Ce n’était pas la première fois qu’elle le trouvait ici; une vive pitié remua au fond de son âme. Erg Noor se releva, la mine sombre. Louma s’approcha en hâte et chuchota:
— J’ai à vous parler.
Erg Noor approuva de la tête et, les yeux clignés, passa dans la première section de l’infirmerie. Il refusa la chaise que lui offrait Louma et resta debout, adossé au pied d’un irradiateur en forme de champignon. Elle, qui n’était pas très grande, se dressa de toute sa hauteur pour en imposer davantage durant l’entretien. Le regard du chef ne lui donna pas le temps de s’y préparer.
— Vous savez, ditelle d’un ton mal assuré, que la neurologie moderne a pénétré le processus de formation des émotions à l’état conscient et subconscient. Le subconscient cède à l’action que les remèdes inhibitifs exercent par les régions anciennes du cerveau sur le réglage chimique de l’organisme, y compris le système nerveux et partiellement l’activité nerveuse supérieure…
Erg Noor haussa les sourcils. Louma Lasvi sentit que son exposé était trop long et trop détaillé.
— Je veux dire que la médecine peut agir sur les centres cérébraux qui régissent les émotions violentes. Je pourrais…
Erg Noor avait compris, à en juger d’après l’éclat subit de ses yeux et son sourire fugitif.
— Vous me proposez d’agir sur mon amour, demandatil rapidement, et de me délivrer ainsi de la souffrance?
Elle inclina la tête, de crainte de chasser la douceur de la compassion par le schématisme inévitable des paroles.
Erg Noor lui tendit la main en signe de reconnaissance et secoua la tête.
— Je ne me départirai pas de la richesse de mes sentiments, si douloureux qu’ils soient. La douleur, pour peu qu’elle soit tolérable, conduit à la compréhension, la compréhension à l’amour, tel est le cycle. Merci, Louma, vous êtes bonne, mais je ne veux pas!
Et il s’en alla, impétueux comme toujours.
Aussi pressés qu’en cas d’avarie, ingénieurs électroniciens et mécaniciens réinstallaient au poste central et à la bibliothèque, comme treize ans plus tôt, l’écran du vidéophone des transmissions terrestres. L’astronef était entré dans la zone où on pouvait capter les ondes radio du réseau universel de la Terre, diffusées par l’atmosphère
Les voix, les sons, les formes et les couleurs de la planète natale réconfortaient les voyageurs tout en exaspérant leur impatience: la durée du vol cosmique semblait interminable.
L’astronef appelait le satellite artificiel 57 sur l’onde habituelle des raids interstellaires lointains, et attendait d’une heure à l’autre la réponse de ce puissant poste d’émission.
Enfin l’appel atteignit la Terre.
Tout l’équipage de l’astronef veillait aux appareils. C’était le retour à la vie après un isolement de treize ans terrestres et de neuf années indépendantes! Les gens écoutaient les messages terrestres avec une avidité insatiable, discutaient par le réseau universel les questions importantes que chacun était libre de poser, selon la coutume.
C’est ainsi qu’une suggestion du pédologue Heb Our, captée par hasard, fut suivie de six semaines de débats et de calculs complexes.
«Suggestion de Heb Our à discuter! tonnait la voix de la Terre. Tous ceux qui ont réfléchi à la chose et partagent ces idées ou leur sont opposés, prononcez-vous!» La formule traditionnelle des discussions publiques comblait de joie les voyageurs. Heb Our proposait au Conseil d’Astronautique d’étudier systématiquement les planètes accessibles des étoiles vertes et bleues. Selon lui, c’étaient des mondes particuliers dont les puissantes émissions d’énergie avaient le pouvoir d’inciter à la lutte contre l’entropie — c’estàdire d’animer — les composés minéraux, inertes dans les conditions terrestres. Certaines formes de vie, issues de minéraux plus lourds que les gaz, seraient actives sous l’effet des températures élevées et des radiations intenses des étoiles de classes spectrales supérieures… Heb Our estimait normal l’échec des explorateurs qui n’avaient découvert aucune trace de vie sur Sirius, cette étoile à rotation rapide étant double et privée de champ magnétique puissant. Personne ne contestait le fait que les étoiles doubles ne pouvaient passer pour des génératrices de systèmes planétaires, mais la suggestion même de Heb Our souleva une vive opposition de la part de l’équipage de la Tantra.
Les astronomes du vaisseau, Erg Noor en tête, rédigèrent un message représentant l’avis des premiers hommes qui avaient vu Véga dans le film de la
Et les terriens émerveillés entendirent la voix de l’astronef qui revenait de son voyage à travers le Cosmos.