— Quelques minutes de silence! commandatelle, et tout le monde s’assit sur les rochers. Au bout d’un instant, Védâ se plaça eh face de ses compagnons et lut:
— C’est magnifique! — Evda Nal se releva sur les genoux. Un poète moderne ne saurait mieux exprimer la puissance du temps… Mais quel est ce don de la Terre, qu’il jugeait le plus beau et qu’il évoquait à son moment suprême?
Ren Boz repartit vivement, les yeux rivés sur Evda Nal:
— Une belle femme, évidemment…
Un canot en matière plastique translucide surgit au loin, ayant deux personnes à son bord.
— Ce sont Miika et Cherlis, un mécanicien du pays, il l’accompagne partout, dit Véda. Hé non, c’est Frit Don luimême, le chef de l’expédition maritime! A ce soir, Véter, j’emmène Evda: vous avez à causer tous les trois!
Les deux femmes coururent vers les vagues légères et partirent à la nage en direction de l’île. Le canot s’était tourné vers elles, mais Véda l’envoya du geste en avant. Ren Boz les regardait, immobile.
— Réveillez-vous, Ren, et parlons affaires! lui cria Mven Mas. Le physicien répondit par un sourire confus.
La nappe de sable compact, entre deux chaînes de rochers, s’était transformée en salle de conférences scientifiques. Ren Boz, armé d’un éclat de coquillage, dessinait et écrivait, se jetait fébrilement à plat ventre pour effacer de son corps ce qu’il avait tracé, et se remettait Jt l’œuvre. Mven Mas l’approuvait ou l’encourageait par de brèves exclamations. Dar Véter, les coudes sur les genoux, essuyait son front où la tension d’esprit faisait perler la sueur. Enfin, le physicien roux se tut et s’assît dans le sable en haletant.
— Ma foi, Ren Boz, dit Dar Véter après un long silence, vous avez fait une grande découverte!
— Je ne suis pas le seul… L’ancien mathématicien Heisenberg a formulé le principe de l’indétermination, l’impossibilité de définir exactement la place des particules infimes. Or, l’impossible est devenu possible en tenant compte de transitions réciproques, c’estàdire grâce au calcul répagulaire23. C’est à la même époque environ qu’on a découvert le nuage annulaire mésonique du noyau atomique et l’état transitoire entre le nucléon et cet anneau, c’estàdire qu’on est parvenu au seuil de la notion d’antigravitation.
— Soit. Je ne suis pas ferré sur les mathématiques bipolaires24, encore moins sur des chapitres tels que le calcul répagulaire, la recherche des limites de transition. Mais ce que vous avez fait en matière de fonctions ombrées est absolument nouveau, quoique assez difficile à comprendre pour nous, les profanes. Mais je conçois l’importance de la découverte. Seulement… Dar Véter resta court.
— Quoi donc? intervint Mven Mas alarmé.
— Comment faire l’expérience? A mon avis, nous n’avons pas les moyens de créer un champ électromagnétique assez puissant…
— Pour équilibrer le champ de gravitation et obtenir l’état transitoire? demanda Ren Boz.
— Mais oui. Et dans ce cas, l’espace situé audelà du système restera hors de notre portée.
— En effet. Mais selon les règles de la dialectique, il faut toujours chercher la solution dans l’opposé. Si on obtenait l’ombre d’antigravitation par la méthode vectorielle…
— Oh, oh! Mais comment?
Ren Boz traça rapidement trois lignes droites, un secteur étroit et coupa le tout par un arc de cercle à grand rayon.
— On le savait dès avant les mathématiques bipolaires. Il y a deux mille cinq cents ans, on l’appelait le problème des quatre dimensions. Les gens ignoraient les propriétés ombrées de la gravitation, ils tentaient de les assimiler aux champs électromagnétiques et croyaient que les points singuliers25 signifiaient la disparition de la matière ou sa transformation en quelque chose d’inexplicable. Comment pouvaiton se représenter l’espace en connaissant si mal les phénomènes naturels? Mais nos ancêtres soupçonnaient la vérité: voyez, ils ont compris que si la distance d’une étoile A au centre de la terre, suivant cette ligne OA, est de vingt quintillons de kilomètres, la distance à la même étoile suivant le vecteur OB équivaut à zéro… plus exactement à une grandeur tendant vers zéro. Ils disaient que le temps se réduisait à zéro, si la vitesse du mouvement égalait celle de la lumière… Or, le calcul cochléaire26 aussi a été découvert assez récemment!
— Le mouvement spiral est connu depuis des millénaires, remarqua prudemment Mven Mas. Ren Boz eut un geste de dédain.