Assurez le transport d’une charge lourde. Au fait, votre expérience a-t-elle réussi ?
La question prit l’Africain au dépourvu. Il avait certainement vu Epsilon du Toucan. Mais était-ce le contact réel de ce monde infiniment lointain ? Ou bien l’action funeste de l’expérience sur l’organisme et le désir ardent de voir avaient-ils produit une hallucination ? Pouvait-il annoncer au monde entier que l’expérience avait réussi et qu’il fallait de nouveaux efforts, de nouveaux sacrifices pour la répéter ? Que la méthode de Ren Boz valait mieux que celles de ses prédécesseurs ? De crainte d’exposer les autres, ils avaient tenté l’expérience à eux deux, les insensés ! Qu’avait vu Ren, que pouvait-il raconter ? ... A supposer qu’il soit en état de parler et qu’il ait vu quelque chose ...
Mven Mas se montra encore plus franc.
— Je n’ai pas la preuve du succès. J’ignore ce qu’a vu Ren Boz ...
Une tristesse manifeste assombrit le visage de Grom Orm. Simplement attentif l’instant d’avant, il était devenu austère.
— Que comptez-vous faire ?
— Permettez-moi de remettre mes pouvoirs à Junius Ante. Je ne suis plus digne de diriger la station. Mon devoir est de rester auprès de Ren Boz jusqu’à la fin ... L’Africain resta court et se reprit : jusqu’à la fin de l’opération. Après quoi ... je me retirerai dans l’île de l’Oubli en attendant le jugement ... Je-me suis déjà condamné moi-même !
— Vous avez peut-être raison. Mais beaucoup de circonstances m’échappent, et je m’abstiens de me prononcer. Votre cas sera examiné à la prochaine séance du Conseil, Qui proposez-vous comme votre remplaçant, tout d’abord pour restaurer le satellite ?
— Je ne connais pas de meilleur candidat que Dar Véter !
Le président approuva de la tête. Il dévisagea un moment l’Africain, comme s’il voulait ajouter quelque chose, puis il fit un geste d’adieu. L’écran s’éteignit à propos, car la tête de Mven Mas s’était brouillée.
— Informez Evda Nal de ma part,’ chuchota-t-il au directeur de l’observatoire qui se tenait à côté de lui. Il tomba, essaya en vain de se relever et ne remua plus.
La venue d’un homme de type mongoloïde, d’assez petite taille, au sourire gai et aux allures impératives, attira l’attention générale. Ses assistants lui obéissaient avec l’empressement joyeux des soldats de l’antiquité commandés par un grand capitaine. Mais le prestige. du maître n’annulait pas leur propre initiative. C’était un groupe uni de gens énergiques, prêts à combattre le pire ennemi de l’homme : la mort.
En apprenant que la fiche d’hérédité de Ren Boz n’était pas encore arrivée, Af Nout s’emporta ; mais il se calma aussitôt, quand on lui dit qu’Evda Nal en personne s’était chargée de la remplir et de l’apporter.
Le directeur de l’observatoire demanda prudemment à quoi servirait l’hérédité de Ren Boz et quelle aide pouvaient lui fournir ses ancêtres. Af Nout plissa les paupières avec malice, comme s’il confiait un secret à un ami.
— L’ascendance de tout individu est étudiée non seulement pour comprendre sa structure psychique et établir les pronostics dans ce domaine. Non moins importantes sont les données sur les particularités neurophysioiogiques, la résistance de l’organisme, l’immunologie, la réaction sensitive aux trau-matismes et l’allergie aux remèdes. Le choix du traitement approprié est impossible sans la connaissance de la structure héréditaire et des conditions de vie des ancêtres.
Comme le directeur allait poser une autre question, Af Nout l’arrêta.
— J’en ai assez dit pour vous mettre sur la voie. Le temps presse !
Le directeur balbutia des excuses que le chirurgien ne se donna pas la peine d’écouter.
Sur la plate-forme aménagée au pied de la montagne, on dressait en hâte une salle d’opération où on amenait l’eau, le courant et l’air comprimé. D’innombrables ouvriers offraient leurs services à l’envi, et le pavillon en éléments préfabriqués fut monté en trois heures. Parmi les médecins qui avaient bâti l’installation expérimentale, les assistants d’Af Nout choisirent quinze personnes pour desservir cette clinique érigée en hâte. Ren Boz fut transféré sous la coupole en matière plastique translucide, entièrement stérilisée et ventilée à l’air pur, qui passait par des filtres spéciaux. Af Nout et quatre assistants entrèrent dans le premier compartiment de la salle d’opération et y restèrent plusieurs heures pour se désinfecter aux ondes bactéricides et à l’air saturé d’émanations antiseptiques, jusqu’à ce que leur haleine elle-même devînt stérile. Alors ils se mirent à l’œuvre, alertes et sûrs d’eux.