La formidable colonne d’énergie atteignit le satellite 57. Les jeunes visages surexcités des observateurs apparurent sur l’écran hémisphérique.
Après avoir salué ces hommes intrépides, Mven Mas s’assura que la colonne d’énergie suivait bien le satellite. Puis il brancha le courant sur l’installation de Ren Boz. L’image du physicien s’effaça de l’écran.
Les indicateurs du débit de puissance penchaient leurs aiguilles à droite, attestant une condensation toujours accrue.
Les signaux brillaient d’un éclat de plus en plus intense. A mesure que Ren Boz branchait l’un après l’autre les émetteurs du champ, les indicateurs de remplissage tombaient par à-coups vers la ligne zéro. Une sonnerie entrecoupée de l’installation expérimentale fit tressaillir Mven Mas. L’Africain savait ce qu’il avait à faire. Un tour de manette, et le courant en tourbillon de la station Q se déversa dans les yeux mourants des appareils, animant leurs aiguilles inertes. Mais à peine Ren Boz avait-il branché l’inverseur général, que les aiguilles retombèrent à zéro. Mven Mas relia presque instinctivement l’observatoire aux deux stations F.
Il lui sembla que les appareils s’étaient éteints, une étrange lueur pâle remplit le caveau. Les sons avaient cessé. L’instant d’après, l’ombre de la mort traversa l’esprit de l’Africain, estompant les sensations. Mven Mas luttait contre le vertige, les mains crispées au bord du pupitre, haletant d’effort et torturé par une douleur effroyable à la colonne vertébrale. La lumière s’intensifiait d’un côté de la salle souterraine, sans que Mven Mas pût dire duquel : peut-être de l’écran ou de l’installation de Ren Boz ...
Soudain, un rideau mouvant parut se déchirer, et Mven Mas entendit nettement le clapotis des vagues. Une odeur subtile et indéfinissable pénétra dans ses narines dilatées. Le rideau s’écarta à gauche, tandis qu’une brume blafarde continuait à onduler dans le coin opposé. De hautes montagnes rougeâtres, ceintes de bois couleur d’azur, avaient surgi, très distinctes, et les vagues d’une mer violette clapotaient aux pieds de Mven Mas. Le rideau se retira encore, et l’Africain vit l’incarnation de son rêve : une femme au teint cuivré, accoudée à une table de pierres blanche polie, était assise sur le palier supérieur d’un escalier et contemplait l’océan. Elle l’aperçut tout à coup ; ses yeux espacés marquèrent la surprise et l’admiration. La femme se leva, la taille gracieusement cambrée, et tendit à Mven Mas sa main ouverte. Une respiration rapide soulevait sa poitrine, et à cette minute hallucinante il se ressouvint de Tchara Nandi.
— Offa alli kor, fit-elle dune voix mélodieuse et SO-nore qui alla droit au cœur de Mven Mas. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais à la place de la vision jaillit une flamme verte et un sifflement violent ébranla le local. Perdant connaissance, l’Africain sentit une force irrésistible le plier en trois, le tourner comme un rotor de turbine et l’aplatir finalement en forme de galette. Sa dernière pensée fut pour le satellite 57, la station et Ren Boz ...
Le personnel de l’observatoire et les bâtisseurs qui se tenaient à distance, sur la pente de la montagne, ne virent pas grand-chose. Une lumière était passée dans le ciel profond du Tibet, éclipsant la clarté des étoiles. Une force invisible s’abattit sur la hauteur où se trouvait l’installation expérimentale et y souleva une trombe de cailloux. Le jet noir, d’un demi-kilomètre de large, comme tiré par un énorme canon hydraulique, fila vers l’observatoire, remonta et frappa de nouveau l’installation qui vola en éclats. L’air poussiéreux gardait une odeur de pierre chaude et de brûlé, qui se mêlait à un parfum bizarre, rappelant celui des côtes fleuries des mers tropicales.
Les gens aperçurent dans Ja yallée, entre le flanc arraché de la montagne et l’observatoire, un large sillon aux bords calcinés. L’observatoire était intact. Le sillon avait atteint le mur sud-est, détruit les cabines de transformateurs attenantes, et butaiî contre la coupole de la salle souterraine, recouverte d’une couche de basalte de quatre mètres d’épaisseur. Le ba-zalte était usé, comme par un gigantesque polissoir, mais une partie avait tenu bon, sauvant la vie à Mven Mas et protégeant le caveau.
Un ruisseau d’argent s’était figé dans une dépression du terrain : c’étaient les fusibles fondus de la station énergétique de réception.
On réussit bientôt à rétablir les câbles de l’éclairage auxiliaire. Le phare de la voie d’accès illumina un spectacle extraordinaire : le métal de l’installation expérimentale s’étendait en couche mince sur le chemin qui en paraissait chromé.