Mven Mas sortit comme d’habitude sur le balcon de l’observatoire et s’y promena à pas précipités. Dans ses yeux fatigués clignotaient encore les galaxies qui envoyaient à la Terre leurs ondes rouges tels des signaux de détresse, des appels à la pensée toute-puissante de l’homme, Mven Mas eut un rire silencieux, plein d’assurance. Ces rayons rouges seraient un jour aussi familiers que ceux qui avaient éclairé le corps de Tchara Nandi à la fête des Coupes de Feu, de cette Tchara qui lui était soudain apparue sous l’aspect de la fille cuivrée d’Epsilon du Toucan, sa princesse lointaine ...
Oui, c’est sur Epsilon du Toucan qu’il orienterait le vecteur de Ren Boz non plus seulement pour voir ce monde splendide, maïs aussi en l’honneur de sa représentante sur la Terre !
L’école 410 du troisième cycle se trouvait dans le sud de l’Irlande. De vastes champs des vignes et des bouquets de chênes descendaient des collines verdoyantes jusqu’à la mer. Véda Kong et Evda Nal, venues à l’heure des études, suivaient lentement le corridor qui faisait le tour des classes disposées sur le périmètre d’un bâtiment circulaire. Le temps était pluvieux, aussi les leçons se passaient-elles dans les salles et non sur les pelouses, à l’ombre des feuillages, comme d’ordinaire.
Véda Kong, qui se sentait redevenue écolière, marchait en tapinois et écoutait aux entrées en chicane, sans portes, comme dans la plupart des établissements scolaires. Evda Nal se prêta au jeu. Elles guignaient de derrière les cloisons, cherchant la fille d’Evda sans se faire voir.
Dans la première pièce, elles aperçurent tracé à la craie bleue, sur tout le mur, un vecteur entouré d’une spirale. Deux portions de la courbe s’encadraient d’ellipses transversales où était inscrit un système de coordonnées rectangulaires.
— Les mathématiques bipolaires ! s’écria Véda avec une épouvante comique.
— Bien plus ! Attendons un peu, répliqua Evda. « Maintenant que nous avons pris connaissance des fonctions ombrées du mouvement cochléaire ou mouvement spiral progressif qui se produit suivant un vecteur, nous abordons la notion du calcul répagulaire.
Le professeur grisonnant, aux yeux vifs, enfoncés dans les orbites, grossit la ligne à la craie :
— Il doit son nom à un mot latin qui signifie « barrière », plus exactement le passage d’un état à un autre, pris sous un aspect bilatéral ... Le professeur montra une large ellipse dessinée en travers de la spirale. Autrement dit, c’est l’étude mathématique des phénomènes de transition réciproque ... »
Véda se retira derrière la cloison, entraînant sa compagne par la main.
— Voilà du nouveau ! C’est du domaine dont parlait votre Ren Boz sur la plage ...
— L’école présente toujours aux élèves ce qu’il y a de plus nouveau et rejette constamment ce qui est caduc. Si la jeune génération ressassait les vieilles idées, comment assurerait-on un progrès rapide ? On perd assez de temps déjà à transmettre les connaissances aux enfants. Il s’écoule des dizaines d’années avant que l’enfant soit assez instruit pour accomplir des oeuvres grandioses. Cette pulsation des générations, où on avance d’un pas pour reculer aussitôt de neuf dixièmes, jusqu’à ce que la relève ait grandi et se soit formée, est la plus dure loi biologique de la mort et de la renaissance. Bien des choses que nous avons apprises en mathématiques, en physique et en biologie sont désuètes. Votre branche à vous, l’histoire, vieillit moins vite, étant très vieille en soi.
Elles glissèrent un coup d’œil dans la pièce suivante. L’institutrice qui leur tournait le dos et les écoliers absorbés par ses paroles ne les remarquèrent pas. Les visages attentifs et les joues rosies des élèves témoignaient de l’intérêt qu’éveillait en eux la leçon. C’était la dernière classe du troisième cycle, car il y avait là des garçons et des filles de dix-sept ans.