DU MEME AUTEUR
Train d’enfer pour ange rouge, La Vie du Rail, 2003
La chambre des morts, Le Passage, 2005 ; Prix des lecteurs Quais du polar 2006
deuils de miel, La Vie du Rail, 2006
FRANCK THILLIEZ
LA FORÊT DES OMBRES
Couverture : Julien Levy © Le Passage Paris-New York Editions,
Eugène Guillevic,
1.
La femme fracassa le test de grossesse contre une poutre du grenier.
Résultat positif. Son monde s’écroulait.
Tête baissée, pieds nus, elle errait sur le plancher, s’écorchant les talons sur des échardes. Peu importait le sang. La douleur était ailleurs.
Trahison.
Le vent hurlait sous les tuiles du toit, les flammes des bougies s’essoufflaient avant de s’étirer plus fines, happant les reflux d’oxygène. Sous les tourbillons invisibles, une lettre parfumée, lacérée à coups de ciseaux, sur une vieille table en bois. Une lettre d’amour. La soixante-troisième qu’elle lui écrivait. Celle-là, il ne la recevrait jamais. Pas après cet affront. Non, non, jamais !
Son regard tomba sur le test usagé, sa rage décupla encore.
Des bruissements d’ailes emplissaient le grenier. Une colombe s’agitait frénétiquement sous un couvercle. Dans moins d’une heure, elle serait morte, par manque d’air. Derrière la fenêtre, la nuit déroulait ses spectres filiformes, le givre s’accrochait aux vitres en étoiles translucides.
Les pupilles noires contemplèrent un temps le mouvement des nuages. Au loin, le tas gris des habitations... Rouen.
La femme serra le poing. Dans l’orage de ses traits se lisait l’histoire de ce que nous avons toujours été : des prédateurs. Quand ses membres impatients se départirent quelque peu de leur nervosité, elle s’installa auprès de la table et déversa sur une feuille vierge :
Les tremblements agitaient à nouveau l’extrémité de ses doigts squelettiques. La mine du stylo bondissait d’une ligne à l’autre, pareille à un sismographe déréglé.
Ses ongles crissèrent sur le bois et vinrent effleurer le canon d’un revolver.
Le stylo explosa contre la charpente. La lettre fut pliée sans soin, puis enfoncée au fond d’une boîte bien trop volumineuse pour cette poignée de mots.
Il y manquait encore quelque chose. Cette colombe, achetée dans une animalerie.
La femme se précipita au rez-de-chaussée, l’oiseau de paix serré entre ses mains furieuses. Aucune porte à pousser pour traverser les pièces obscures, elle les avait toutes ôtées, méticuleusement, les unes après les autres.
L’ombre glissa devant un miroir, puis revint, à reculons, abandonnant sous ses pas les traces sanglantes de ses talons abîmés.
Elle fixa alors la trotteuse de sa montre et porta le volatile à hauteur de son nez.
— Si tu clignes sept, non, huit fois des yeux en moins de dix secondes, c’est que David m’aime à la folie. Sept fois, il m’aime, mais un peu moins. Ne descends pas en dessous de six, OK ?
Et elle compta, pressant la pauvre bête de plus en plus fort. Des piaillements s’élevèrent jusque dans les combles.
— Cligne des yeux, putain de bestiole !
L’oiseau sursauta une dernière fois.
Face à l’échec, la femme essaya de trouver des excuses. Ce pari-là n’était pas valable, elle en avait déjà fait un autre dans l’heure, perdu lui aussi. On ne peut pas réaliser deux paris trop rapprochés ! Bien sûr !
Elle considéra le miroir. Derrière elle, punaisé au mur, un article de journal agrandi à taille humaine : David... De près, qualité exécrable, malgré la retouche informatique de chaque pixel du visage, mais de loin, en tamisant la lumière... la subtile illusion que David l’enlaçait. Souvent, elle se pâmait là, dans le flux des heures blanches, à disséquer leur couple dans la glace. Ils formaient un duo tellement parfait. Si seulement sa sale garce de femme...