«El traditor» nous reçut en silence. C’était en garçon de vingt ans, blond, aux yeux clair, très pâle. Il était blond commes les espagnols blonds, il avait les yeux clairs comme les espagnols aux yeux clairs. Il se mit à pleurer. Il dit: «Je suis un traître. Yo un traditor. Mais je n’en peux plus. Je ne veux pas mourir. Je veux rentrer en Espagne». Il pleurait, et nous regardait avec des yeux pleins de peur, d’espoir, de prière.
De Foxà était ému:
«Ne pleure pas» lui dit-il, «on va t’envoyer en Espagne. Tu y sera bien reçu. On te pardonnera. Ce n’est pas de ta faute si les Russes ont fait de toi, qui étais un gosse, un communiste. Ne pleure pas».
«Je suis un traître» disait le prisonnier.
«Nous sommes tous des traîtres» dit soudain de Foxà à voix basse.
De Foxà lui fit signer, le jour après, une déclaration, et partit le jour même.
Avant de partir il alla chez le Général Edqvist:
«Vous êtes un gentilhomme» lui dit-il, «donnez-moi votre parole que vous sauverez la vie de ces malheureux. Ce son des chic types. Il préfèrent mourir, plutôt que renier leur foi».
«Oui, ce sont des chic types» dit le Général Edqvist, «je suis un soldat j’admire le courage et la loyauté même chez les ennemis. Je vous donne ma parole. Du reste, je suis déjà d’accord avec le Maréchal Mannerheim. On les traitera comme des prisonniers de guerre. Partez sans crainte, je réponds de leur vie».
De Foxà serra la main du Général Edqvist en silence, la gorge éntraglée par l’émotion. Quand il s’assit dans le traîneau, il souriait.
«Enfin» me dit-il, «tu auras fini de m’embêter avec toutes ces histoires! Je vais télégraphier à Madrid, et dés j’aurai le réponse, on verra. Merci, Malaparte». «Adios, Augustin»
«Adios».
Quelques jours après arriva la réponse de Madrid. Le prisonniers fut accompagné à Helsinki, où l’attendaient un officier et un sousofficier espagnols. «El traditor» partit en avion pour Berlin, et de là pour l’Espagne. Il était clair que les autorités espagnoles voulaient monter l’afaire. Le prisonnier était comblé d’attentions, il partait plein de joie.
Deux mois après je rentrai à Helsinki. C’était le printemps, les arbres de l’Esplanade étaient couverts de feuilles neuves, d’un vert tendre, les oiseaux chantaient dans les branches. La mer, au fond de l’Esplanade était verte aussi, elle paraissait couverte, elle aussi, de feuilles neuves. J’allai prendre de Foxà à sa villa de Bruneparken, nous marchions ensemble de long de la mer, pour nous rendre au Kemp. L’ile de Suomenlinna était blanche d’ailes de muettes.
«Et le prisonnier, el traditor? Tu as de ses nouvelles?»
«Encore?» cria de Foxà, «mais de quoi te mêles-tu?»
«Cet homme, j’ai fait moi aussi quelque chose, pour lui sauver la vie».
«J’ai failli perdre mon poste, pour ce type là! Et c’est de ta faute».
Il me raconte que «el traditor» avait été reçu à Madrid fort bien. On le promenait dans les cafés, dans les théatres, dans la plaza dos toros, dans les stades, dans les cinémas. On le montrait, les gens disaient: «Tu vois ce beau garçon? Il était communiste, il a été fait prisonnier sur le front russe, il combattait avec les Russes. Il a voulu rentrer il a reconnu Franco en Espagne. C’est un brave garçon, un bon espagnol».
Mais «el traditor» disait:
«Ça, un café? Il faut voir les cafés de Moscou».
Et il riait. Il disait:
«Ça, un théatre? Un cinéma? Il faut voir les theâtres et les cinémas de Moscou».
Et il riait On l’emmena au stade. Il dit à haute voix:
«Cela, un stade? Il faut voir le stade de Kiev».
Et il riait. Tout le monde se retournait, et il disait à haute voix:
«Cela, un stade? Le stade de Kiev, celui là est un stade!»
Et il riait.
«Tu comprends!» me dit de Foxa, «tu comprends? C’est de ta faute. C’est aussi de ta faute. A Madrid, au Ministère, on était furieux contre moi. Tout cela pour ta faute. Cela t’ apprendra à te mêler des choses qui ne te regardent pas».
«Mais enfin, ce garçon… qu’est-ce qu’on lui a fait?»
«Que veux-tu qu’on lui fasse? On ne lui a rien fait» dit Augustin avec une voix étrange, «de quoi te mêles-tu?»
Il sourit. «On l’avait enterré selon le rite catholique».