– Baron, dit-il, Nicole n’a certes pas sa pareille à la cour; quant à moi, je le pense. Pour ce qui est de l’illustre dame avec laquelle, je l’avoue, elle a un faux air de ressemblance, nous allons mettre tout amour-propre à couvert… Vous avez des cheveux blonds d’une nuance admirable, mademoiselle Nicole; vous avez des sourcils et un nez d’un dessin tout à fait impérial; eh bien, soyez un quart d’heure assise devant une toilette, et ces imperfections, M. le baron les juge telles, disparaîtront. – Nicole, mon enfant, voudriez vous être à Trianon?
– Oh! s’écria Nicole, dont toute l’âme pleine de convoitise passa dans ce monosyllabe.
– Vous irez donc à Trianon, ma chère; vous irez, et vous y ferez fortune, et sans nuire en quoi que ce soit à la fortune des autres. Baron, un dernier mot.
– Dites, mon cher duc.
– Va, ma belle enfant, fit Richelieu, et laisse-nous causer un moment.
Nicole sortit, le duc s’approcha du baron.
– Si je vous presse d’envoyer une femme de chambre à votre fille, dit-il, c’est que cela fera plaisir au roi. Sa Majesté n’aime pas la misère, et les jolis minois ne lui font pas peur. Enfin, je m’entends.
– Que Nicole aille donc à Trianon, puisque tu penses que cela fera plaisir au roi, répliqua le baron avec son sourire d’égypan.
– Alors, puisque tu m’en donnes la permission, je l’emmènerai: elle profitera du carrosse.
– Cependant, sa ressemblance avec madame la dauphine… Il faudrait songer à cela, duc.
– J’y ai songé. Cette ressemblance disparaîtra sous les mains de Rafté en un quart d’heure. Je t’en réponds… Écris donc un mot à ta fille, baron, pour lui dire l’importance que tu attaches à ce qu’elle ait une femme de chambre auprès d’elle, et à ce que cette femme de chambre s’appelle Nicole.
– Tu crois qu’il est urgent qu’elle s’appelle Nicole?
– Je le crois.
– Et qu’une autre que Nicole?…
– Ne remplirait pas si bien la place; d’honneur, je le crois.
– Alors, j’écris à l’instant même.
Et le baron écrivit aussitôt une lettre qu’il remit à Richelieu.
– Et les instructions, duc?
– Je me charge de les donner à Nicole. Elle est intelligente?
Le baron sourit.
– Tu me la confies, alors… n’est-ce pas? dit Richelieu.
– Ma foi! c’est ton affaire, duc; tu me l’as demandée, je te la donne; fais en ce que tu pourras.
– Mademoiselle, venez avec moi, dit le duc en se levant, et vite.
Nicole ne se le fit pas répéter. Sans même demander le consentement du baron, elle rassembla en cinq minutes un petit paquet de hardes, et, d’un pas si léger qu’on eût dit qu’elle volait, elle s’élança près du cocher de monseigneur.
Richelieu prit alors congé de son ami, qui lui réitéra ses remerciements pour le service qu’il avait rendu à Philippe de Taverney.
D’Andrée, pas un mot. C’était plus que d’en parler.
Chapitre XCIV Métamorphoses
Nicole ne se sentait plus d’aise; quitter Taverney pour se rendre à Paris n’avait pas été pour elle un triomphe aussi grand que de quitter Paris pour Trianon.
Elle fut tellement gracieuse avec le cocher de M. de Richelieu, que la réputation de la nouvelle femme de chambre était faite le lendemain dans toutes les remises et dans toutes les antichambres un peu aristocratiques de Versailles et de Paris.
Lorsqu’on arriva au pavillon de Hanovre, M. de Richelieu prit la petite par la main et la conduisit lui-même au premier étage, où l’attendait M. Rafté, écrivant force lettres pour le compte de monseigneur.
Parmi toutes les attributions de M. le maréchal, la guerre jouant le plus grand rôle, le Rafté, en théorie du moins, était devenu un si habile homme de guerre, que Polybe et le chevalier de Folard, s’ils eussent vécu, se fussent tenus très heureux de recevoir un de ces petits mémoires sur les fortifications et les manœuvres comme Rafté en écrivait chaque semaine.
M. Rafté était donc occupé à rédiger un projet de guerre contre les Anglais dans la Méditerranée, lorsque le maréchal entra et lui dit:
– Tiens, Rafté, regarde-moi cette enfant.
Rafté regarda.
– Très aimable, monseigneur, dit-il avec un mouvement de lèvres des plus significatifs.
– Oui, mais sa ressemblance?… Rafté, c’est de sa ressemblance que je parle.
– Eh! c’est vrai; ah! diable!
– Tu trouves, n’est-ce pas?
– C’est extraordinaire; voilà qui fera sa ruine ou sa fortune.
– Sa ruine, d’abord, mais nous allons y mettre bon ordre. Elle a les cheveux blonds, comme vous voyez, Rafté; mais ce n’est pas une grande affaire, n’est-ce pas?
– Il ne s’agit que de les lui faire noirs, monseigneur, répliqua Rafté, qui avait pris l’habitude de compléter la pensée de son maître, et souvent même de penser entièrement pour lui.
– Viens à ma toilette, petite, dit le maréchal; monsieur, qui est un habile homme, va faire de toi la plus belle et la plus méconnaissable soubrette de France.