– Un serviteur dévoué, monsieur, ne fait pas jouer à son maître un rôle ridicule.
– Sire, dit le ministre avec hauteur, je croyais être né assez près du trône pour en comprendre la majesté.
– Monsieur, repartit le roi d’une voix brève, je ne veux pas vous faire languir. Hier au soir, dans le cabinet de votre hôtel, à Versailles, vous avez reçu un courrier de madame de Grammont.
– C’est vrai, sire.
– Il vous a remis une lettre.
– Est-il défendu, sire, à un frère et à une sœur de correspondre?
– Attendez, s’il vous plaît… Je sais le contenu de cette lettre…
– Oh! sire!
– Le voici… j’ai pris la peine de la transcrire de ma main.
Et le roi tendit au duc une copie exacte de la lettre qu’il avait reçue.
– Sire!…
– Ne niez pas, monsieur le duc; vous avez serré cette lettre en un coffret de fer placé dans la ruelle de votre lit.
Le duc devint pâle comme un spectre.
– Ce n’est pas tout, continua impitoyablement le roi, vous avez répondu à madame de Grammont. Cette lettre, j’en sais le contenu également. Cette lettre, elle est là, dans votre portefeuille, et n’attend pour partir qu’un
Le duc essuya son front mouillé d’une sueur glacée, s’inclina sans répondre un seul mot et sortit du cabinet en chancelant, comme s’il eût été atteint d’apoplexie foudroyante.
Sans le grand air qui frappa son visage, il fût tombé à la renverse.
Mais c’était un homme d’une puissante volonté. Une fois dans la galerie, il reprit sa force, et, traversant, le front haut, la haie des courtisans, il rentra dans son appartement pour serrer et brûler divers papiers.
Un quart d’heure après, il quittait le château dans son carrosse.
La disgrâce de M. de Choiseul fut un coup de foudre qui incendia la France.
Les parlements, soutenus, en effet, par la tolérance du ministre, proclamèrent que l’État venait de perdre sa plus ferme colonne. La noblesse tenait à lui comme à un des siens. Le clergé s’était senti ménagé par cet homme, dont la dignité personnelle, exagérée souvent jusqu’à l’orgueil, donnait un air de sacerdoce à ses fonctions ministérielles.
Le parti encyclopédiste ou philosophe, fort nombreux déjà et surtout très fort, parce qu’il se recrutait chez les gens éclairés, instruits et ergoteurs, poussa les hauts cris en voyant le gouvernement échapper aux mains du ministre qui encensait Voltaire, pensionnait l’
Le peuple avait bien plus raison que tous les mécontents. Il se plaignait aussi, le peuple, et sans approfondir, mais, comme toujours, il touchait la grosse vérité, la plaie vive.
M. de Choiseul, au point de vue général, était un mauvais ministre et un mauvais citoyen; mais, relativement, c’était un parangon de vertu, de morale et de patriotisme. Quand le peuple, mourant de faim dans les campagnes, entendait parler des prodigalités de Sa Majesté, des caprices ruineux de madame du Barry, lorsqu’on lui envoyait directement des avis comme l’
Ce n’était pas que le peuple, qui avait des antipathies, eût des sympathies bien marquées. Il n’aimait pas les parlements, parce que les parlements, ses protecteurs naturels, l’avaient toujours abandonné pour des questions oiseuses de préséance ou d’intérêt égoïste; parce que, mal éclairés par le faux reflet de l’omnipotence royale, ces parlements s’étaient imaginé être quelque chose comme une aristocratie entre la noblesse et le peuple.
Il n’aimait pas la noblesse par instinct et par souvenir. Il craignait l’épée autant qu’il haïssait l’Église. Rien ne pouvait le toucher dans le renvoi de M. de Choiseul; mais il entendait les plaintes de la noblesse, du clergé, du parlement, et ce bruit, ajouté à ses murmures, faisait un fracas qui l’enivrait.
La déviation de ce sentiment fut du regret et une quasi-popularité acquise au nom de M. de Choiseul.
Tout Paris, le mot peut ici se justifier par une preuve, accompagna jusqu’aux portes l’exilé partant pour Chanteloup.
Le peuple faisait la haie sur le passage des carrosses; les parlementaires et les gens de cour, qui n’avaient pu être reçus par le duc, embossèrent leurs équipages devant la haie du peuple pour le saluer au passage et recueillir son adieu.