– Mais, moi, je vous aime trop pour vous voir mourir. Lorenza, vous ne mourrez donc pas, et je ferai la cure la plus difficile de toutes celles que j’ai faites, ma Lorenza; je vous ferai aimer la vie.
– Non, non, impossible; vous m’avez fait chérir la mort.
– Lorenza, par pitié, ma Lorenza, je te promets qu’avant peu…
– La mort ou la vie! s’écria la jeune femme, qui s’enivrait graduellement de sa colère. Aujourd’hui est le jour suprême; voulez-vous me donner la mort, c’est-à-dire le repos?
– La vie, ma Lorenza, la vie.
– C’est la liberté alors.
Balsamo garda le silence.
– Alors, la mort, la douce mort par un philtre, par un coup d’aiguille, la mort pendant le sommeil: le repos! le repos! le repos!
– La vie et la patience, Lorenza.
Lorenza poussa un éclat de rire terrible, et faisant un bond en arrière, elle tira de sa poitrine un couteau à la lame fine et aiguë qui, pareil à l’éclair, étincela dans sa main.
Balsamo poussa un cri; mais il était trop tard: lorsqu’il s’élança, lorsqu’il atteignit la main, l’arme avait déjà fait son trajet et était retombée sur la poitrine de Lorenza. Balsamo avait été ébloui par l’éclair; il fut aveuglé par la vue du sang.
À son tour, il poussa un cri terrible et saisit Lorenza à bras-le-corps, allant chercher au milieu de sa course l’arme prête à retomber une seconde fois et la saisissant à pleine main.
Lorenza retira le couteau par un violent effort, et la lame tranchante glissa entre les doigts de Balsamo.
Le sang jaillit de sa main mutilée.
Alors, au lieu de continuer la lutte, Balsamo étendit cette main toute sanglante sur la jeune femme et d’une voix irrésistible:
– Dormez, Lorenza, dit-il, dormez, je le veux!
Mais, cette fois, l’irritation était telle, que l’obéissance fut moins prompte que d’habitude.
– Non, non, murmura Lorenza chancelante et cherchant à se frapper encore. Non, je ne dormirai pas!
– Dormez! vous dis-je! s’écria une seconde fois Balsamo en faisant un pas vers elle, dormez, je vous l’ordonne.
Cette fois, la puissance de volonté fut telle chez Balsamo, que toute réaction fut vaincue; Lorenza poussa un soupir, laissa échapper le couteau, chancela et alla rouler sur des coussins.
Ses yeux restaient seuls ouverts, mais le feu sinistre de ses yeux pâlit graduellement et ils se fermèrent. Le cou, crispé, se détendit; la tête se pencha sur l’épaule, comme fait la tête d’un oiseau blessé, un frissonnement nerveux courut par tout son corps. Lorenza était endormie.
Alors seulement Balsamo put écarter les vêtements de Lorenza et sonda sa blessure, qui lui parut légère. Cependant, le sang s’en échappait avec abondance.
Balsamo poussa l’œil du lion, le ressort joua, la plaque s’ouvrit; puis, détachant le contrepoids qui faisait descendre la trappe d’Althotas, il se plaça sur cette trappe et monta dans le laboratoire du vieillard.
– Ah! c’est toi, Acharat? dit celui-ci toujours dans son fauteuil. Tu sais que c’est dans huit jours que j’ai cent ans. Tu sais que, d’ici là, il me faut le sang d’un enfant ou d’une vierge?
Mais Balsamo ne l’écoutait point, il courut à l’armoire où se trouvaient les baumes magiques, saisit une de ces fioles dont il avait tant de fois éprouvé l’efficacité; puis il se replaça sur la trappe, frappa du pied et redescendit.
Althotas fit rouler son fauteuil jusqu’à l’orifice de la trappe, avec l’intention de le saisir par ses vêtements.
– Tu entends, malheureux! lui dit-il; tu entends, si dans huit jours je n’ai pas un enfant ou une vierge pour achever mon élixir, je suis mort.
Balsamo se retourna; les yeux du vieillard semblaient flamboyer au milieu de son visage aux muscles immobiles; on eût dit que les yeux seuls vivaient.
– Oui, oui, répondit Balsamo; oui, sois tranquille, on te donnera ce que tu demandes.
Puis, lâchant le ressort, il fit remonter la trappe qui, ainsi qu’un ornement, alla s’adapter au plafond.
Après quoi, il s’élança dans la chambre de Lorenza, où il était à peine rentré, que la sonnette de Fritz retentit.
– M. de Richelieu, murmura Balsamo; oh! ma foi, tout duc et pair qu’il est, il attendra.
Chapitre CXVIII Les deux gouttes d’eau de M. de Richelieu
Le duc de Richelieu sortit à quatre heures et demie de la maison de la rue Saint-Claude.
Ce qu’il était venu faire chez Balsamo va s’expliquer tout naturellement dans ce qu’on va lire.
M. de Taverney avait dîné chez sa fille; madame la dauphine, ce jour-là, avait donné congé entier à Andrée pour que celle-ci pût recevoir son père chez elle.
On en était au dessert quand M. de Richelieu entra; toujours porteur de bonnes nouvelles, il venait annoncer à son ami que le roi avait déclaré, le matin même, que ce n’était plus une compagnie qu’il comptait donner à Philippe, mais un régiment.
Taverney manifesta bruyamment sa joie, et Andrée remercia le maréchal avec effusion.
La conversation fut tout ce qu’elle devait être après ce qui s’était passé. Richelieu parla toujours du roi, Andrée toujours de son frère, Taverney toujours d’Andrée.